COP 21: le tipping point ?
Un tipping point, c’est quand les choses basculent de façon irréversible – par exemple quand un glacier, miné par le réchauffement climatique, s’effondre dans la mer. L’accord conclu au Bourget le 12 Décembre est probablement un tipping point dans la transition énergétique mondiale et la maîtrise des changements climatiques.
Mais commençons pas le commencement. Copenhague, en 2009, fut un échec retentissant, Paris un succès éclatant – c’est ce que chacun admet. Et pourtant, comme l’a bien noté Dan Bodansky, l’accord de Paris était tout en germe dans celui de Copenhague: l’objectif (à peu de choses près), le principe « bottom-up » plutôt que « top-down » selon lequel les pays élaborent librement leurs contributions, lesquelles sont clairement non contraignantes, et surtout le dépassement de l’opposition binaire entre pays industriels et pays en développement. Un dépassement indispensable, car si les premiers sont responsables du gros des émissions passées (difficiles à ramener au bercail), les seconds ont en main les émissions futures. En contrepartie, les premiers aideront les seconds à maîtriser leurs émissions – tel est le sens des engagements financiers pris, eux encore, à Copenhague. Ainsi a-t-on pu parvenir à une « couverture » quasi complète des émissions de gaz à effet de serre, à la regrettable et importante omission près des soutes maritimes et aériennes internationales.
Mais la COP15 en 2009 se contenta de « prendre note » de l’accord de Copenhague, que 114 pays déclarèrent soutenir, rejoints ensuite par 27 autres. Ce texte a pourtant fourni son squelette à l’accord de Paris, lequel a ajouté quelques muscles, qu’on aurait ici ou là aimé plus vigoureux. Mais ne boudons pas notre plaisir – nous étions au bord de l’abîme et avons fait un grand pas en avant. Bon, l’image n’est pas à prendre au pied de la lettre…
Pourquoi Paris a-t-il réussi là où Copenhague a échoué, sinon peut-être dans la réalité des textes mais du moins dans l’opinion de beaucoup, à commencer par celle d’une écrasante majorité de négociateurs? D’abord parce que… on s’est habitué au changement de paradigme, et ce qu’on repoussait à Copenhague est apparu à Paris – en fait, déjà à Cancun en 2010 – comme ce qu’on pouvait attendre de mieux des négociations. Ensuite, parce que la présidence française a beaucoup appris de Copenhague, et n’a pas donné prise aux contestations procédurales, notamment en évitant de sortir au dernier moment comme un lapin de son chapeau un texte alternatif à celui issu des négociations au sein de l’ADP – l’Ad Hoc Working Group on the Durban Platform for Enhanced Action. C’est pourtant bien comme ça que Jean Ripert et Delphine Borione avait fait adopter la Convention sur les Changements Climatiques à New York en mai 1992…
Enfin et surtout, parce que la position des grands émergents, à commencer par la Chine, a fortement évolué – et c’est d’ailleurs une constante de ces négociations depuis le début (je l’ai vu de mes yeux à la COP1 à Berlin en 1995) que les choses avancent quand la Chine fait un pas, car elle entraîne l’ensemble du groupe dit « des 77 et de la Chine ». L’accord Xi-Obama annonçait le succès de Paris. Et on ne peut pas s’expliquer cette évolution uniquement par le fait que les changements climatiques sont progressivement apparus comme une menace réelle et somme toute assez proche. Il y faut un autre ingrédient, et c’est le fait qu’en quelques années à peine le changement qui apparaissait forcément pénible, coûteux et susceptible de peser négativement sur le développement et la croissance économique, est apparu finalement peu coûteux voire rentable, et avantageux à plus d’un titre – l’emploi, la sécurité énergétique, la qualité de l’air. La baisse rapide des coûts de certaines énergies renouvelables et de certaines technologies énergétiquement efficaces – par exemple pour l’éclairage – a changé la donne. D’autant que la Chine – et d’autres – y ont vu non seulement la possibilité de modifier leur propre mix énergétique d’une façon avantageuse, mais aussi des occasions nouvelles de faire tourner leur économie en fournissant le monde avec ces technologies nouvelles, dont le photovoltaïque, massivement produit en Asie aujourd’hui, est l’illustration la plus emblématique.
Et c’est pour ces mêmes raisons qu’il est permis d’espérer que l’accord de Paris sera largement suivi d’effets. Non pas parce qu’il serait juridiquement contraignant – il ne l’est que pour ses formes extérieures, par pour les engagements sur les émissions, et on a bien vu depuis Kyoto que cette formulation n’avait guère de portée réelle, avec par exemple le retrait du Canada. Mais parce que la nature du problème de la coopération internationale a changé. Il s’agissait jusqu’alors d’un vrai problème du prisonnier, c’est-à-dire que chaque joueur avait intérêt à faire défection quelle que soit l’attitude des autres joueurs – ici les « joueurs » sont d’abord les pays, mais cela s’applique aussi d’une certaine façon aux entreprises. La matrice des coûts et bénéfices ayant profondément changé, le changement climatique est aujourd’hui ramené à un plus banal problème d’assurance – si chaque joueur est assuré que les autres agissent comme ils s’y sont engagés, évitant par exemple de créer des distorsions de concurrence trop importantes, alors il fait sens de continuer.
C’est ainsi que l’accord de Paris pourrait effectivement constituer un tipping point: les milieux industriels, les milieux financiers, les gouvernements, s’engagent ensemble à agir, chacun envoyant aux autres un signal de changement d’environnement économique et politique. Continuer d’investir, par exemple dans les centrales à charbon, devient un risque, tandis qu’investir dans la transition devient moins risqué et donc moins coûteux. Le mouvement amorcé avant Paris et qui l’a rendu possible fait soudain système, la mayonnaise prend, la transition accélère.
Cédric Philibert
http://cedricphilibert.net
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