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Comment économiser l’énergie dans les transports et réduire la dépendance automobile ?

Dans la perspective de la loi en préparation sur les mobilités, et dans le cadre du Grand débat, voici la contribution d’un expert, Jean-Marie Beauvais, économiste des transports. Extraits d’un article publié dans le numéro de janvier-Février de la revue « Transport, Infrastructure et Mobilité ».

Hiérarchiser les politiques publiques

Alors, que faire pour réduire le nombre de kilomètres, pour réorienter la répartition modale en faveur des modes les moins énergivores et pour augmenter l’efficacité énergétique de chaque mode ? D’après nous, les mesures à prendre doivent l’être dans un certain ordre. Il convient d’abord de hiérarchiser des politiques publiques. Prendre des mesures trop en aval de la chaîne causale risque de générer des effets pervers tels que la situation résultante soit pire que la situation antérieure, ou en d’autres termes, qu’on arrive à une augmentation et non pas à la réduction recherchée des consommations d’énergie. Au final, ne vaut-il pas mieux parcourir 4000km par an dans une voiture vieillissante qui consomme 7 l/100 km que 12000 km dans une voiture plus récente qui ne consomme que 5 l/100 km ? Le nombre d’activités peut très bien être le même dans les deux cas mais la consommation en litres par an est deux fois moindre dans le premier cas. Au lieu de dépenser de l’argent pour faire baisser le nombre de litres aux 100 km, on le dépense pour élargir l’offre en transport collectif et améliorer les modes doux.
Ne viser que la réduction des consommations spécifiques présente deux inconvénients : la privation de financements pour les solutions alternatives à la voiture et l’augmentation du nombre de kilomètres. Prenons quelques exemples.
- équiper les voitures d’une 4ème puis d’une 5ème vitesse, c’est bien car cela permet de rester dans le bon régime moteur et donc de réduire la consommation à vitesse donnée. Mais en pratique, l’automobiliste augmentera sa vitesse, gardera sa consommation et élargira son rayon d’action ;
- installer un déflecteur sur tracteur routier semi-remorque permet d’améliorer l’aérodynamisme du véhicule et donc de réduire sa consommation. Mais le conducteur n’en profitera pas pour moins appuyer sur l’accélérateur. Il appuiera tout autant et, la puissance du tracteur étant donnée, il roulera plus vite. Ainsi, il fera plus de rotations et donc plus de kilomètres dans la journée, ce qui permettra des baisser les coûts du transporteur routier et donc de concurrencer encore plus le train qui est pourtant plus efficace énergétiquement et sur le plan environnemental ;
- élargir une autoroute pour éviter les surconsommations de carburant dans les encombrements, semble être une mesure de bon sens. Et pourtant, le retour à une circulation fluide attirera de nouveau automobilistes. Et cette induction de trafic aboutira quelques années plus tard à la même saturation, mais à un niveau de trafic plus élevé ;
- mettre en place du covoiturage longue distance augmente le taux d’occupation des voitures ce qui permet de diviser les consommations de carburant, même en tenant compte des détours à faire pour déposer les uns ou les autres. Mais cela vide le train qui offre une desserte parallèle et péjore donc son efficacité rapportée au voyageur-km. L’effet pervers n’annulera pas forcément la totalité du bénéfice attendu mais explique en grande partie pourquoi la consommation en litres aux 100 km ne baisse que très lentement et que le trafic automobile augmente significativement.
Ces exemples montrent qu’on ne peut pas raisonner « toutes choses égales par ailleurs » car l’ailleurs n’est justement pas fixe. Pour le rendre fixe, il faut veiller à « verrouiller » les niveaux amont. D’où l’enchaînement à respecter de l’amont à l’aval : choix de société, localisation des logements et des activités, répartition modale, conduite automobile, innovations technologiques. Il faut aborder la question dans sa globalité. N’est-ce pas ce que disait un grand patron de l’industrie automobile, Carlos Tavares (PDG de PSA) en s’exprimant non pas comme constructeur mais comme citoyen : « Qui traite la question de la mobilité propre dans sa globalité ? Comment est-ce que nous allons produire plus d’énergie électrique propre ? Comment faire pour que l’empreinte carbone de fabrication d’une batterie du véhicule électrique ne soit pas un désastre écologique?... Qui aujourd’hui est en train de se poser la question de manière suffisamment large d’un point de vue sociétal pour tenir compte de l’ensemble de ces paramètres ? »

(…)

Contribution

Nous avons, dans cet article, défendu la thèse que pour économiser efficacement l’énergie dans le secteur des transports et pour desserrer la dépendance automobile dont sont victimes les « gilets jaunes », il faut hiérarchiser les éléments de solution dans un certain ordre :
- avant tout, s’interroger sur nos besoins, sur la société de consommation, sur le système productif et son ouverture internationale ;
- puis, sur ce qui génère les flux, c’est-à-dire la localisation des logements et la localisation des activités ;
- ensuite arrivent les questions de répartition modale (la marche, le vélo et les transports collectifs plutôt que la voiture et l’avion) et de style de conduite automobile ;
- enfin seulement, on peut rechercher les améliorations à attendre de l’innovation technologique. Traiter la question dans l’autre sens, c’est prendre le risque d’être confronté à un effet pervers tel que la situation résultante sera pire que la situation initiale en accélérant l’épuisement des ressources. Dans cet esprit, cet article constitue une contribution au « Grand débat national » qui devra conduire à la prise de mesures concrètes en avril 2019.

 

jean marie beauvaisJean-Marie Beauvais, économiste des transports, consultant
 
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