Cinq ans pour Notre-Dame, un exploit reconnu universellement. Mais nous avions le modèle, à reconstruire à l'identique pour l'essentiel. La reconstruction de territoires dévastés comme celui de Mayotte est une autre affaire. Quel modèle suivre pour reconstruire des villes et des villages dont la situation antérieure était déjà problématique. Pas de modèle mais toujours une urgence absolue pour des raisons sociales et économiques évidentes. Une urgence qui n'est pas toujours bonne conseillère. Nous l'avons vu, et à quelle échelle, à l'époque des grosses crises du logement autour des années 60. Les grands ensembles que nous avons construit à cette époque ne s'avèrent guère durables à tous points de vue. Emplacement, conception, construction, beaucoup d'erreurs ont été accumulées pour faire vite. Comment, à la suite du cataclysme qui s'est abattu sur Mayotte, en faire un territoire adapté au changement climatique, prêt à entrer dignement dans le vingt-et-unième siècle, tout en s’inscrivant pleinement dans la culture des Mahorais.

L'ethnlogue Jean Malaurie avait observé dans un tout autre contexte et pour une tout autre population, celle du grand nord, la puissance d’un « code mental de l'espace », qui permettait aux inuits de se repérer dans leur monde si particulier, ce fameux désert blanc. Le concept de code mental de l'espace n'est pas l'apanage des inuits, et Edward Hall l’avait à sa manière bien décrit dans son ouvrage de référence « La dimension cachée (1) » dans un chapitre consacré à des immigrés italiens du West End de Boston, au siècle dernier. « Les résidents du West end vivaient en contact permanent les uns avec les autres ; les halls des maisons, les magasins, les églises, et même les rues jouaient pour eux un rôle essentiel dans la participation à la vie de la collectivité. Les habitants disposaient en réalité d’un espace vital plusieurs fois supérieur à celui qu'indiquaient les critères d'évaluation de la classe moyenne, fondés sur la seule cellule d'habitation ». L’application de modèles issus de la classe moyenne américaine a provoqué plus de dépressions que d’enthousiasme, et le sentiment de disposer de moins d’espace qu’avant la rénovation. Le code mental de l’espace concerne aussi bien les grands espaces que les espaces intimes de la vie quotidienne.

La reconstruction du milieu de vie des Mahorais À Mayotte est donc un défi, de même intensité sans doute que celui de Notre-Dame de Paris, mais d'une autre nature. Toujours dans l'urgence, une reconstruction non pas sur un ancien modèle mais sur un modèle à inventer pour répondre à 2 exigences : la première est technique, résister à des éléments naturels, ouragans et secousses sismiques, qui pourraient être de plus en plus capricieux, économiser les ressources naturelles tant à la construction qu'à l'usage, et intégrer l’environnement particulier de l'île. Le second est culturel et sociologique, une traduction opérationnelle du code de l'espace de la population mahoraise. Deux exigences qui se recoupent de mille manières, le mode de vie étant en partie déterminée par le type d'habitat, lui-même influencé par la culture et les traditions.

Mayotte a été victime d’un évènement naturel extrême, mais bien d’autres territoires sont frappés d’une autre manière, plus lente mais inexorable : effondrement d’une activité, paupérisation progressive, exode des jeunes, ou encore phénomènes climatiques comme la fin de l’enneigement ou le recul du trait de côte. Une forme de reconstruction s’impose alors, pour ne pas laisser à l’abandon tout un patrimoine et la population qui résiste tant bien que mal. Une reconstruction qui doit se projeter dans le futur, tout en valorisant les restes du passé. Là encore, la créativité est de rigueur, l’opportunisme aussi quand le contexte s’y prête, associés à l’écoute du génie du lieu, pour comprendre les richesses du territoire et le code qui les régit.

La reconstruction est un art délicat, où se mêlent de nombreux savoirs et savoir-faire.

1 Aux éditions du Seuil, 1971