Perseverare diabolicum
Nous l’avions déjà observé lors de la dernière élection législative en France. Les habitants des territoires inondés à plusieurs rerises dans le Nord de la France ont rejeté nettement les Cassandres qui avaient annoncé la catastrophe, au profit des climatosceptiques. Aux Etats-Unis, il semble que les victimes des derniers ouragans se soient aussi portés vers les négationnistes du climat. Au lendemain des inondations meurtrières de Valence, les écologistes diffusent sur les réseaux sociaux un message éloquent pour accompagner l’image du désastre : « on a échappé à ‘écologie punitive ».
Un message clair, une forme de revange, un message à destination de tous ceux qui rejettent la moindre contrainte au nom de l’écologie ou du climat. Du genre « Nous l’avions bien dit ! ». Un message qui a dû faire plaisir aux militants, mais qui a dû aussi exacerber la rancœur des victimes des inondations, désignés de faits comme responsables de ce qui leur arrive. Le message a aussi la double vertu d’associer cataclysme et écologie, et écologie et punition. Des associations de mots qui restent dans les esprits, les détails et les circonstances s’oubliant très vite. Au total, une communication contre-productive, assumé et poursuivi avec constance. Errare humanum est, perserverare diabolicum.
Ils ne sont les seuls à se tirer une balle dans le pied. Tus les partis de gouvernement depuis plusieurs quinquennats et même avant tiennent un discours récurrent : « il faut protéger les Français ». Une bonne manière de dire aux intéressés qu’ils sont fragiles, en danger dans ce monde en mutation. Il n’y a pas mieux pour casser la confiance en soi, et pour détruire le goût du risque, pourtant si nécessaire pour rechercher de nouvelles voies de progrès humain. A l’inverse, les Français, ainsi réduits au rang de proies potentielles, rêvent d’un pouvoir fort qui les protégerait vraiment de toutes ces menaces, un régime autoritaire fondé sur des « valeurs sures », intangibles, comme la religion ou une identité mythique. La montée des régimes illibéraux en est une conséquence, régimes qui gagnent en popularité dans le désordre qu’ils n’hésitent pas à provoquer eux-mêmes. Il ne faut pas « protéger les Français », mais leur donner confiance en eux (1).
Autre exemple de discours contre-productif. Pour soutenir la cause palestinienne, voilà les agressions de juifs dans de nombreux pays. Le résultat le plus probable est le choix de nombreux juifs de la diaspora de s’installer en Israël, ce qui ne peut qu’en renforcer la politique d’extension de ses territoires, au détriment des Palestiniens. Si vous voulez aider les Palestiniens, chouchouter les juifs de votre pays !
Dernier exemple à propos de la laïcité. Celle-ci prône de respect des convictions religieuses de chacun, et une modération du prosélytisme. Croyez-vous que se moquer de la religion des autres soit une bonne pratique ? Cela peut faire rire, mais c’est quand même le contraire du respect. Les fameuses caricatures de Mahomet, publiées en premier dans un journal danois d’extrême droite, ont pu renforcer les convictions de ceux déjà convaincus des vertus de la laïcité, mais en ont plutôt éloigné ceux qu’il fallait justement convaincre, qui se sont senti insultés par ce qu’ils considèrent comme une moquerie. L’erreur est humaine, mais persévérer en utilisant ces caricatures pour faire la promotion de la laïcité semble bien « diabolicum ». La violence de l’attentat dont les journalistes de Charlie Hebdo ont été victimes ne dispense pas de s’interroger sur le bon usage des caricatures.
Les exemples sont légion d’attitudes qui font plaisir à leurs tenants et à leurs semblables, mais qui desservent leur cause. Le développement durable n’est pas un bouclier contre les catastrophes, ce qui ne serait pas à son bénéfice, du fait de l’association qui serait faite alors entre écologie et catastrophe. La promotion du développement durable se fera avec un message d’espoir, une promesse de vie meilleure. Celle-ci est souvent associée à plus de consommations matérielles, à laquelle il faut substituer un autre idéal, à base de génie humain, seule ressource inépuisable dans un monde « fini ». C’est cette recherche d’une nouvelle étoile de Sirius, ou de plusieurs, qui est le ressort du développement durable, et non le rappel répété maintes fois des ennuis qui nous attendent si nous ne changeons pas, ou encore l’injonction morale de ne pas laisser à nos enfants une « terre brûlée ». L’émergence de ces nouveaux idéaux, ces nouvelles représentations du progrès humain, ne se fera pas toute seule. Il revient aux « écologistes » et à tous ceux conscients de la nécessité de changer de mode de vie de contribuer à cette recherche, et de la promouvoir. Des pistes ont été ouvertes, de vie intense d’un autre type. L’éloge de la lenteur et le mouvement slow en est un exemple, de même que dans un autre registre le manifeste des étudiants pour un réveil écologique, qui revendiquent une cohérence entre leurs convictions et leurs futurs emplois. Le bonheur d’un nouveau type existe, c’est sa recherche qui est le moteur du développement durable.
1 -Voir à ce sujet « La politique, la peur et le développement durable » dans La revue politique et parlementaire d’avril-juin 2015
Edito du 6 novembre 2024
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