Retraite
Repartir des fondamentaux, sans a priori, est une bonne méthode pour prendre du recul par rapport aux solutions du passé, et progresser sur des sujets complexes, tels que les retraites.
Voilà un sujet délicat, qui pourrait faire tourner au cauchemar le bonheur de vivre plus vieux. Les débats sur leur réforme, répétitifs et éternels, sont là pour prouver le caractère sensible des retraites (1). Le nombre d’actifs diminue, celui des inactifs augmente, ils vivent de plus en plus vieux, coûtent de plus en plus cher en dépenses de santé, rien ne va plus !
Mettons d’abord les choses au point, repartons des fondamentaux comme l’exige le développement durable. Pour l’essentiel, il s’agit d’une répartition. Une année donnée, le montant des retraites distribuées et les consommations qui en résultent proviennent de la production de l’année, sous réserve de quelques décalages dans le temps. C’est bien pour ça que nous parlons toujours du ratio actifs/inactifs, qui pourrait devenir inquiétant. La solution trouvée dans plusieurs pays est de décaler l’âge de départ à la retraite, ce qui, mécaniquement, augment le nombre des actifs et diminue celui des inactifs. Ça va un temps, mais quand nous serons tous centenaires, jusqu’à quel âge faudra-t-il travailler ?
Ce type de réponse, sur l’âge de départ à la retraite, présente de réelles lacunes. Tout d’abord, il fait l’impasse sur la productivité du travail. Les actifs sont moins nombreux, mais grâce aux progrès engrangés au fil des années, il faut de moins en moins de temps de travail humain pour produire un objet donné. Par exemple, le nombre d’heures de travail pour fabriquer une voiture a diminué de 50% en 30 ans. Ça donne des marges pour prélever un peu plus pour les retraites, sans priver les « actifs » d’une hausse de salaire.
Et puis si la productivité s’est accrue, c’est du fait d’investissements : plus de compétence, plus de recherche et développement, plus de matériel. Certains préconisent d’ailleurs de faire payer les robots, traduction concrète de ces investissements dans certains secteurs d’activité, et on pourrait y ajouter les ordinateurs et l’intelligence artificielle, tout ce qui permet d’améliorer la productivité du travail humain. Pour faire plus simple, disons que c’est l’ensemble des « facteurs de production » qui pourraient être mis à contribution, ce qui ne serait que justice, puisque ces investissements sont en grande partie le fruit du travail des générations à la retraite.
Ajoutons que les « inactifs » ne sont pas improductifs pour autant. En dehors ou à l’intérieur de la sphère marchande, et ils produisent des biens et des services fort utiles à la société. Laisser un temps entre l’activité « traditionnelle » et le grand âge est une nécessité sociale, d’autant qu’une lassitude arrive naturellement au bout que 40 et quelques années. Il vaut mieux repartir dans un autre cadre, pour se motiver et redevenir performant (2).
Revenons aux fondamentaux. A quoi servent les retraites ? A permettre aux inactifs de vivre dignement, à être indépendants de leurs enfants. Une sorte de salaire différé a-t-on souvent dit, une rémunération décalée dans le temps pour le travail passé. C’est aussi un pouvoir d’achat distribué, qui permet une consommation. La moitié des voitures neuves sont achetées par des retraités. A côté de l’aspect social, il y a une forte composante économique. Il faut que l’argent tourne, et la retraite est un des instruments de cette rotation, dont les producteurs ont bien besoin pour vendre. C’est donc un équilibre financier qui est produit par les retraites, au-delà de la juste récompense d’une vie de labeur. Cet équilibre intègre l’état des techniques de production, des niveaux et des modes de consommation, et il est bien réducteur de réduire le débat sur les retraites à quelques paramètres intangibles (durée de cotisation, âge de départ, montant des cotisations et des pensions). Nous ne passons aujourd’hui qu’environ 12% de notre temps de vie à travailler, alors que nos aïeux y consacraient bien plus que la moitié de leur vie. Et pourtant, nous bénéficions d’un niveau de vie et d’une durée de vie bien supérieurs. C’est que notre technicité, nos connaissances, notre organisation sociale ont permis d’accroître spectaculairement le volume de richesses produites. Et d’importantes réserves de productivité existent encore, avec, par exemple, l’imprimante 3D et l’intelligence artificielle. Il y a donc moyen de produire les biens et services dont nous avons besoin, et des les répartir équitablement entre toutes les composantes de la population, vieux y compris, même si leur nombre augmente. Le cauchemar évoqué en tête de cette note doit pouvoir être transformé en rêve, à condition d’ouvrir le débat à toutes ses dimensions au lieu de l’enfermer dans un marchandage étriqué autour de quelques paramètres.
La question qui doit nous occuper et mobiliser notre créativité est ailleurs. Le progrès mentionné ci-dessus est le fruit, notamment, d’une exploitation sans ménagement des ressources naturelles, et nous savons que la planète, toute généreuse qu’elle soit, a des limites. La préoccupation première devrait être le « facteur 4 », au sens du club de Rome. Deux fois plus de bien-être, en consommant deux fois moins de ressources. Là se trouve la clé d’une bonne retraite pour tous !
1 Voir à ce sujet le développement durable, un vrai problème de développement durable
2 Voir à ce sujet la note Quatrième
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