Laboratoire
Le développement durable est une recherche. Il s’agit de trouver des modes de développement inédits, intégrant la finitude du monde. L’innovation est au cœur dans la nature même du développement durable, tant en matière technologique qu’en termes d’organisation sociale.
Explorer les territoires inconnus, ou connus très partiellement, est toujours une aventure, avec des prises de risque. Pour en garder la maîtrise, une attitude prudente doit se conjuguer avec une bonne dose d’audace. Eviter l’irréversible et les risques inconsidérés font partie de la nécessaire culture du risque. Le principe de précaution est une traduction de cette exigence, à l’inverse d’un « principe du parapluie » avec lequel il est souvent caricaturé.
Une des manières de progresser en limitant les risques est d’envoyer des éclaireurs, des équipes qui ont pour mission de renseigner sur les terrains à occuper. Une approche d’ordre militaire. En matière sociétale ou technologique, on parle plutôt de laboratoires. C’est là que la recherche se conçoit et se développe, avant de changer d’échelle et d’être reprise par les institutions et les acteurs économiques. Le développement durable a besoin de laboratoires.
Ce n’est pas une découverte. Il y a des précédents. Prenez les parcs naturels régionaux, par exemple. Ils ont été imaginés dans les années 1960 par le DATAR, la délégation à l’aménagement du territoire, très vivace à cette époque. Création par décret en mars 1967. Le ministère de l’environnement n’existait pas encore. Il s’agissait de trouver un avenir à des territoires ruraux riches par leur culture ou leur environnement, mais fragiles, sans perspective claire devant eux. Plusieurs objectifs devaient être conjugués, la protection de leur patrimoine, bien sûr, et sa mise en valeur, mais aussi l’accueil des urbains pour leur détente et leurs loisirs, et le développement économique de ces territoires. Trois finalités à conjuguer, sociétale, environnementale et économique. Le développement durable n’est pas loin, plus de 20 ans avant la conférence de Rio qui en sera la consécration. Des territoires pour innover et proposer de nouveaux modèles de développement. Ils ont prospéré, ils sont 56 aujourd’hui en France, et couvrent 15% de sa surface. Ont-ils vraiment répondu à l’attente, ont-ils éclairé l’avenir, ont-ils été vraiment des laboratoires du futur ? Des réponses ponctuelles ou sectorielles ont été explorées, mais aucun modèle ne s’est imposé, aucune ligne directrice n’a émergé avec la force qui en ferait une référence.
C’est que l’exercice est difficile. Rassembler toutes les forces vives d’un territoire, dépasser les conflits sous-jacents connus ou inconnus, se projeter vers le futur alors que le présent est incertain, autant d’exploits qui ne peuvent se réaliser sans bonnes fées sur le berceau de l’opération. Il est arrivé que la mayonnaise prenne en dehors de toute formule officielle, juste par la détermination de quelques acteurs locaux.
Dans les années 2000 est né un programme européen mettant en avant le terme de laboratoire. Ce sont les living labs, qui se sont répandu un peu partout ensuite. « Un living lab regroupe des acteurs publics, privés, des entreprises, des associations, des acteurs individuels, dans l’objectif de tester « grandeur nature » des services, des outils ou des usages nouveaux » nous dit Wikipédia. L’usager comme acteur de l’innovation. Nous sommes dans la même logique, appliquée à toutes sortes de territoires, avec la possibilité de se concentrer sur un domaine particulier, comme la santé, l’alimentation, la culture, l’accès au numérique, etc. Un des maîtres-mots des living labs est « décloisonner », ouvrir et partager les réseaux. Certains de ces laboratoires sont encore actifs, comme celui de Dijon Métropole pour la promotion d’une alimentation durable.
Un bon sujet, qui intéresse tout le monde et avec de fortes connexions environnementales, sociales et économiques. Les « projets alimentaires territoriaux », créés par une loi d’octobre 2014, veulent ainsi faire de l’alimentation « un axe intégrateur et structurant de mise en cohérence des politiques sectorielles sur un territoire ». Toujours décloisonner, et mobiliser tous les acteurs, pour innover et développer ensuite les produits de la démarche. Depuis septembre 2019, le relai semble pris par les « territoires d’innovation », dont l’objectif est « de faire émerger en France les territoires du futur et de nouveaux modèles de développement territorial ». Encore des laboratoires, même si le terme n’est pas repris.
Tout sympathiques que soient ces initiatives et les encouragements des pouvoirs publics, ils se heurtent toujours à la difficulté évoquée pour les parcs naturels régionaux. Les résistances au changement sont multiples, et les innovations, malgré l’intérêt qu’elles ont manifesté dans les « laboratoires », ont du mal à percer et à s’étendre au-delà du cluster où elles sont nées. Une loi constitutionnelle autorise l’expérimentation dans notre pays, depuis 2003. Une autre manière de parler d’innovation et de recherche de futurs originaux. Est-ce notre culture, marquée par le culte de l’égalité et la centralisation, mais très peu d’usage en a été fait. C’est peut-être une des raisons pour lesquelles le développement durable suscite de nombreuses avancées sectorielles, mais ne parvient pas à sortir des laboratoires et à se généraliser. Nous avons tous les ingrédients pour le changement, mais les freins culturels restent trop forts. C’est dans l’évolution des mentalités que se trouve la clé, pour desserrer ces freins.
Photo : Science in HD / Unsplash
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