Individuelle
La maison individuelle a deux défauts. Elle consomme de l’espace et elle consomme plus d’énergie. L’espace consommé par la place qu’elle occupe, avec son jardin, et du fait de « l’étalement » qu’elle provoque. Les largeurs des parcelles successives le long des rues sont autant de distances qu’il faudra parcourir pour aller du centre (bourg ou ville) vers chacune des maisons, avec les prolongements de réseaux (eau, électricité, téléphone) nécessaires pour les desservir, sans parler des rues elles-mêmes qui consomment aussi de l’espace. Ajoutons que ces rues créent des barrières parfois infranchissables pour toute une faune. La segmentation des territoires est aussi pénalisante que son utilisation. Quant à la consommation d’énergie, elle est due aux transports rendus nécessaires du fait de l’étalement, et au fait que les surfaces d’échange de la maison avec l’extérieur sont plus grandes, ce qui en rend plus compliqué l’isolation. Voilà pour les défauts, sans entrer dans les détails.
Elle a aussi des qualités propres, si elle est comparée avec des immeubles d’habitat collectif. Elle offre plus de facilités pour infiltrer les eaux pluviales, voire les récupérer pour des usages tel que l’arrosage, les chasses d’eau ou les machines à laver. Elle permet de recycler les déchets organiques, réduisant ainsi le besoin de collecte et de traitement des déchets, et ouvrant la possibilité d’une valorisation immédiate et sur place. Une production alimentaire personnelle est une option sociale autant qu’écologique pour le jardin. La végétation est une réponse aux ilots de chaleur, et offre un dispositif naturel de climatisation. Malgré le mot « individuelle », la maison et son jardin sont propices à de nombreux échanges entre voisins. Jardinage et, bricolage sont les deux mamelles des relations sociales. Le jardin lui-même est une approche de la nature.
Bien sûr, ces qualités sont virtuelles, il s’agit de les concrétiser. Entre deux jardins, l’un pour le prestige, avec un gazon toujours vert, arrosé tout l’été et gorgé de nitrates, délesté de toutes les « mauvaises herbes » et autres traces de la vie sauvage, et un potager cultivé en pemaculture pour un usage direct, il n’y a pas grand-chose de commun. Le rejet a priori de la maison individuelle a empêché de voir comment l’optimiser. Les défauts peuvent être atténués, voire éliminés, et les qualités renforcées : Surfaces non bâties favorables à la biodiversité, à l’infiltration des eaux, à l’utilisation sur place d’un compost, au meilleur circuit court qu’est l’autoproduction, et à bien d’autres choses encore ; surface de toits et de murs transformées en minicentrales de production d’énergie. Les techniques modernes d’isolation permettent d’atteindre des performances énergétiques de haut niveau. La maison à énergie positive, celle qui consomme moins d’énergie qu’elle n’en produit, est avant tout la maison individuelle. Et enfin des plans d’urbanisme conçus pour réduire les distances, et favoriser l’usage des mode doux de déplacement, en premier lieu la marche à pied. C’est une culture de la maison individuelle « écolo » qui peut se développer, à condition de ne pas condamner a priori la maison individuelle. Plutôt que de lutter contre les aspirations majoritaires, pourquoi ne pas chercher à les rendre écologiques ? Partir des envies et donner un mode d’emploi, plutôt que contrer les envies, au risque de l’incompréhension entre les spécialistes de l’environnement et le citoyens « ordinaires », attachés à un modèle d’habitat mais qui voudraient bien faire pour peu qu’ils soient guidés. La culture populaire voit d’ailleurs dans la maison individuelle une occasion de se rapprocher de la nature. Pourquoi pas lui donner raison ?
Le décalage entre les acteurs est source de malentendus néfastes à l’environnement. Le spécialiste, de l’énergie, de la faune et de la flore, du paysage, de l’eau, etc. et l’usager, citoyen, consommateur, le « ménage » comme on dit dans les comptes de la nation, vivent dans des mondes différents. Ils utilisent parfois les mêmes mots, mais avec des sens différents. Les niveaux de connaissance sont évidemment disparates, mais aussi la sensibilité, les repères culturels. Habité par le souci de l’effet de serre, par exemple, le spécialiste négligera d’autres aspects d’un projet auxquels l’usager est très attaché, et le résultat décevra les deux parties.
Les politiques venues d’en haut sont perçues comme des contraintes, et les usagers tentent de les minimiser ou de les contourner. L’adhésion, si nécessaire pour la conception d’un projet et sa vie au cours des années, n’est pas au rendez-vous. Préférons les politiques basées sur les envies. Celles-ci sont de vrais moteurs de l’action, et sont susceptibles de créer ce sentiment d’adhésion. Le ménage qui rêve de sa maison n’est peut-être pas conforme au dogme environnemental, mais c’est son choix, et il n’est pas impossible de l’infléchir, de faire en sorte que son projet soit bon pour l’environnement. Il s’agit alors de faire évoluer le modèle de référence. Ceux des élus, maîtres des plans d’urbanisme, ceux des candidats à l’achat d’une maison, ceux des constructeurs, des financeurs et autres professionnels de l’habitat, ceux des administrations. Les élus ruraux, par exemple, voient souvent les grandes parcelles comme des gages de bonne politique environnementale, alors qu’elles provoquent mécaniquement une forme d’étalement. Cette évolution des modèles, d’ordre culturel, ne s’obtient pas à coup de prescriptions, qui apparaissent souvent comme des injonctions. On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre dit la sagesse populaire. Il s’agit d’entrer dans les modes de penser, de les comprendre et de les accepter, pour pouvoir les enrichir, y ouvrir des perspectives attractives, y introduire des préoccupations nouvelles. Un travail de longue haleine, à conduire avec détermination, mais sans lequel les modèles anciens resteront dominants.
Photo : Scott-Webb / Unsplash
- Vues : 937
Ajouter un Commentaire