Alimentation
Les crises alimentaires et leurs répercussions politiques montrent, s’il en était besoin, l’importance de l’alimentation. Un sujet au carrefour de nombreuses approches, un vrai sujet de développement durable.
Voilà un sujet bien prosaïque, voire trivial, mais il nous offre une entrée royale et populaire à la fois dans l’univers du développement durable.
L’alimentation entre pour environ un tiers dans notre « empreinte écologique ». Ce sont notre vie quotidienne, notre santé, notre plaisir, nos fêtes, notre vie familiale et sociale qui sont concernés. Les pays riches comme les pays pauvres peuvent souffrir d’une mauvaise alimentation, entre obésité et carences. L’alimentation, c’est aussi toute une économie, des savoir-faire, une chaine de production et de transformation, des problèmes de conservation et de stockage, un énorme business et des enjeux de commerce international. Tout y est, culture, économie, société, santé, et bien sûr environnement : la matière première de notre alimentation vient de la terre et du soleil, sous un tas de formes différentes.
Préserver et même renforcer la productivité de nos sols et de la mer est une des clés de l’avenir de l’humanité. De nombreux travaux montrent que ce n’est pas gagné d’avance. Nourrir les 9 à 10 milliards d’êtres humains qui peupleront la planète en 2050 n’est pas évident, surtout si nous laissons se dégrader nos écosystèmes(1). Il semble que ce ne soit pas désespéré, un des paramètres déterminant étant justement la composition de notre alimentation. L’élévation du niveau de vie conduit souvent à changer les modes traditionnels, au profit d’un modèle « occidental » où la viande joue un rôle important. La surface nécessaire pour produire le même nombre de calories varie de 1 à 10 selon leur nature. Il est à craindre que le « développement », souhaitable à bien des égards, ne provoque une pression accrue sur les ressources naturelles. Il ne doit pas être la généralisation des modes de vie des pays les plus riches, type OCDE, mais comment l’éviter ?
L’alimentation recèle un formidable potentiel « gagnant-gagnant ». L’économie de ressources peut se révéler source de nouveaux plaisirs. En 2009, le gouvernement Danois a demandé à des grands cuisiniers de chercher comment consommer moins d’énergie en cuisine. Le résultat a été la découverte de nouvelles recettes et surtout de nouvelles saveurs, en cuisant moins longtemps, voire pas du tout. On a parlé de « crusine ». Les économies accouchent d’innovations. Nous sommes bien dans le gagnant-gagnant. Il reste à diffuser ces pratiques, pour qu’elles ne restent pas confinées à quelques « happy few » ou de rares connaisseurs. La mode et l’imitation des personnalités en vue sont alors de bons ressorts. Une dynamique à créer et entretenir. Faut-il encore que le mot « écologie » ne soit pas associé à privation ou à pénitence. Il y a du plaisir personnel, sensoriel, sensuel, à faire du bien à la planète, profitons-en !
L’innovation en cuisine, c’est aussi le choix des aliments. La richesse de l’offre de la nature a été négligée. Puisque nous sommes nombreux, privilégions les réponses de « masse », voilà le raisonnement qui semble avoir dominé jusqu’à présent. Le sur-mesure et le local, le circuit court, ne semblent pas être à l’échelle du problème. La diversité en a pris un grand coup. Les semenciers ont réduit le nombre de variétés de céréales effectivement cultivées, la sélection a éliminé de nombreuses races de porc ou de bovin, etc. L’adaptation au milieu et aux habitudes alimentaires ont été ainsi laissées de côté. Les « géants » de l’industrie agro-alimentaire ont imposé leur loi. Un mouvement de retour aux variétés locales est-il possible ? La diversité des pratiques alimentaires est un réservoir où il faut puiser abondamment. Il faut même fonder l’innovation sur ces bases.
Les légumes secs donnent un exemple de ce qui serait possible. Particulièrement économiques, pour les consommateurs et pour la nature, leur consommation diminue avec l’élévation du niveau de vie. A cela des raisons de prestige et de position sociale, bien plus que gustatives ou nutritionnelles. En France, la consommation moyenne par an et par habitant « a diminué de moitié depuis 1960, et a été divisée par 10 en un siècle (2) ». L’art culinaire et une bonne promotion peuvent-ils retourner la tendance, et donner envie de remettre les lentilles et les haricots au cœur de nos menus ? Les légumes secs préparés selon de nouvelles recettes, dans l’air de notre temps, peuvent satisfaire les plus exigeants, tant pour leur palais que pour leur santé. Et ils étonneront leurs amis !
L’alimentation est le reflet d’un mode de vie. La manière de faire est tout aussi importante que le contenu. S’asseoir tranquillement autour de la table, et prendre le temps de savourer un repas, même des plus simples, voilà un plaisir qui peut parfaitement s’accorder avec l’amour de la planète. L’UNESCO ne s’y est pas trompé en inscrivant le repas familial français au patrimoine mondial. Ce « patrimoine » ne doit pas rester figé. Il s’agit à présent de le faire vivre pour notre plaisir, un plaisir « durable ».
1 - On pourra sur ce point se reporter aux notes de lecture : Démographie, climat et alimentation mondiale ; La fin des terres ; La grande sur-bouffe ; Le manuel de cuisine alternative ; Les quatre saisons des grands chefs ; nourrir l'humanité ; nourrir la planète
2 - Source : Savez-vous gouter les légumes secs ?
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