Les petits plaisirs
Paris 2024 a démarré aux accents d’Edith Piaf, « La terre peut bien s’écrouler », tandis que notre président et le Pape François souhaitaient chacun de leur côté une trêve olympique, en référence aux jeux antiques. Le sport ferait-il oublier les problèmes de ce monde, « peu m’importe les problèmes » ? Il les a sans doute, en France au moins, relégués au second plan. Les jeux ont fait la Une pendant deux semaines, malgré des évènements majeurs, au Moyen-Orient, en Ukraine ou en politique intérieure américaine, vénézuélienne et même française. L’amour des jeux, en vedette de l’hymne à l’amour.
Et pourtant, le sport apparait bien futile, eu égard aux drames humains qui secouent la planète, au réchauffement climatique et aux risques de conflits généralisés qui nous sont annoncés chaque jour. Le succès que nous avons observé, la « ferveur » suscitée par l’évènement, tiennent peut-être à sa capacité à détourner notre attention et de répondre ainsi à un besoin d’apaisement et de bonnes nouvelles. Cette capacité est fondée sur le pouvoir du sport et de la compétition à procurer des émotions, à créer des communautés inédites et parfois improbables, à faire rêver. Une somme de petits plaisirs qui font du bien, au point que même les échecs et les déceptions contribuent à l’intensité des émotions, ces émotions qui donnent du sel à la vie quotidienne. L’émotion, extraordinaire source de qualité de vie. La qualité de vie, grande oubliée des politiques d’environnement dont l’humain devrait être le centre.
Notre époque est troublée, les équilibres traditionnels sont rompus, aussi bien entre les nations qu’entre les éléments naturels. Nous avons peur du futur, les règles du jeu économique mondial, établies en 1945, semblent inadaptées, et nous nous raccrochons fébrilement au passé. Dans ce contexte morose, les petits plaisirs offrent des moments de bonheur dont nous avons besoin. Les émotions, même éphémères, ressenties dans une salle de spectacle ou dans un stade, ou encore dans l’attente du tirage du loto, enrichissent nos vies, autant que des consommations matérielles. Elles ne figurent pas dans le même registre, mais les deux sont nécessaires, et c’est souvent la carence d’un côté qui provoque des excès dans l’autre, boulimie de consommation ou recherche effrénée d’émotions extrêmes.
Petits plaisirs et émotions, les jeux nous en ont donnés à foison. Tout n’est pas rose pour autant, l’évènement a un coût. Un coût humain, un coût financier, un coût environnemental. Les jeux, quel bilan carbone ? Grands travaux, équipements, transports des athlètes et des spectateurs, les émissions de gaz à effet de serre provoquées par les jeux sont estimées par les organisateurs à 1,5 Mt de CO2. C’est bien mieux qu’à Londres, deux fois moins, mais ce n’est pas négligeable dans la course poursuite engagée pour parvenir à la neutralité carbone en 2050. Est-ce bien raisonnable ?
Procès à charge, qui oublie la valeur créée par les jeux. La valeur matérielle est constituée de leur héritage en termes d’équipements utilisables après l’évènement. Mais aussi valeur immatérielle, le plaisir provoqué, la fierté, le « moral des troupes », l’envie de faire du sport au quotidien, les réseaux relationnels créés à cette occasion, et bien d’autres choses encore. Une valeur qui s’inscrit dans la durée, et qu’il conviendra de faire prospérer, un investissement humain, avec des volets sociaux, d’autres scientifiques ou technologiques, culturels, etc. Les émotions nous détournent de l’obsession d’accumulation de biens matériels, et nous proposent un autre champ pour la croissance de notre bien-être, au-delà de la satisfaction des nos besoins fondamentaux.
Les petits plaisirs nous offrent des espaces de récréation, comme à l’école entre les cours. Des moments de détente, où l’esprit se reconstitue et retrouve des marges de manœuvre, des capacités d’imaginer des mondes différents. Les JO en ont été une source spectaculaire, mais il en existe bien d’autres, plus modestes, plus spontanées, loin des préoccupations des pouvoirs publics, et qu’il convient de cultiver. Le sport et la culture au quotidien en sont des exemples, à favoriser bien sûr, mais il en est bien d’autres, dans la vie familiale ou professionnelle, dans la satisfaction ressentie au sein d’associations ou tout autre action collective. Tous ces petits succès, souvent dérisoires pris isolément, qui procurent du plaisir et de la fierté. Des petits plaisirs qui donnent envie de se dépasser, et qui donnent confiance en soi. Une confiance nécessaire pour innover et défricher les voies du développement durable.
Edito du 14 août 2024
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