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Le discours et le mythe

Le développement durable nous amène à remettre en question nos modes de vie, de production et de consommation. Sortir, donc, de notre zone de confort, abandonner certaines de nos habitudes, et, parfois, aller à l’encontre de tendances héritées du passé et encore fortement ancrées dans nos esprits.

Le nécessaire changement apparait alors comme un effort, ou même un déchirement, qui peut être perçu comme une punition s’il s’y ajoute une référence moralisatrice. Notre raison nous dit d’accepter le changement, mais en regrettant le monde d’hier. « C’était mieux avant ». Et beaucoup ne l’acceptent pas, et tentent de faire durer le monde d’avant, malgré tous les avertissements de la science, et la récurrence d’évènements annonciateurs de difficultés majeures.

Le discours, porteur de la raison d’un côté, et de l’autre le mythe d’une croissance sans fin, prolongation du monde d’hier, idéalisé. Un mythe cultivé par les négationnistes climatique, et tous ceux dont les activités les font dépasser les limites acceptables en termes de prélèvement de ressources ou de rejets dans le milieu., comme l’agriculture traditionnelle et les pétroliers.

Le match entre le discours et le mythe est inégal, le mythe est toujours gagnant, tellement le ressenti l’emporte sur les faits, le vraisemblable sur le vrai. Sauf à faire le choix d’un régime autoritaire éclairé pour faire avancer la durabilité, il faut casser l’ancien mythe pour rééquilibrer le match, et espérer voir triompher la voix de la raison.

Nous avons besoin de mythes, de récits qui nous font rêver, qui nous proposent une vision idéalisée de notre avenir et le système de valeur qui va avec. L’absence de mythes conduit à une perte de sens, souvent mentionnée pour expliquer la crise sociétale que nous traversons, la décivilisation. Il n’est pas bon signe que le discours se substitue au mythe, selon l’expression d’Alejo Carpentier . Le discours n’a de sens qu’en illustration des mythes, dont il est une sorte de mode d’emploi. Il ne peut être le moteur du changement. Jacques Delors le savait bien, qui disait « qu’on ne tombe pas amoureux d’un taux de croissance ». Pour donner envie de changer, il faut des mythes qui touchent notre sensibilité et nous permettent de trouver notre place dans la société. On ne tombe pas amoureux d’un taux de CO2, ou de toute autre statistique, si alarmante soit-elle. Des mythes autour desquels nos imaginaires vont se structurer, et qui nous donnent des repères pour comprendre le monde. Substituer un mythe fondateur du monde de demain, au mythe de la croissance sans limites.

La décroissance, la sobriété, la frugalité ne sont que des discours, inaudibles par tous ceux encore séduits par les anciens mythes. Les nouveaux, à créer, devront intégrer l’air du temps tout en offrant un espace de rêve pour que nos imaginaires puissent prospérer, et une perspective de dépassement, une voie pour atteindre de nouveaux sommets. Un mythe qui s’adresse à notre sensibilité, « moteur de l’intelligence » selon Paul Valéry.

Le développement durable a besoin de mythes, pour nous aider à prendre de la distance par rapport au monde d’hier qui nous envahit encore l’esprit. « La difficulté n’est pas de comprendre les idées nouvelles, mais d’échapper aux idées anciennes” nous dit l’économiste Keynes. Les mythes ont la vie dure, et s’accrochent pour nous imposer un mode de penser. Il nous faut savoir abandoner les mythes d’hier pour créer ceux de demain. Les discours suivront.

1 - Alejo Carpentier, Le partage des eaux, Gallimard 1956

Edito du 7 février 2024

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Commentaires

0
SAUTIN Jean-François
7 mois ya
On peut aussi lire ou relire Laudato Si et/ou la prière de Saint François... beaucoup a été dit sur la "Modernité" qui a tué le concept d'un arbitre suprême alors que l'humain se prend de plus en plus pour le meneur du jeu cosmique... "Pascal et la proposition Chrétienne" (Pierre Manent) ouvre l'esprit des lecteurs à une pensée qui était à la fois totalement respectueuse de la science et en même temps (tiens tiens)lucide sur la limite du psyché humain. Et cela il y a trois cents ans...
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