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Xynthia et les maires

 

Frédéric Besset, ancien maire, et consultant en risques majeurs et sécurité civile, nous livre son observation du procès Xynthia, en deux étapes : au lendemain du procès, et au lendemain du verdict.

Procès Xynthia : un tournant pour tous les maires

Le jugement était en délibéré, mais il était déjà possible d’en tirer plusieurs leçons essentielles pour tous les élus.

 

1 – Médiatisation. En termes d’impact, le procès “Xynthia – La Faute sur Mer” est hors normes : 29 décès (dont 3 enfants) dans un seul quartier, un tribunal délocalisé dans un centre de congrès, 5 prévenus dont le maire, 120 parties civiles, 100 journalistes, cinq semaines de procès, huit semaines de délibération. Aujourd’hui personne ne peut savoir si les magistrats suivront les réquisitions du Procureur. Celui-ci a demandé pour le maire : au pénal 3 années d’emprisonnement ferme et 30 000 euros d’amende, et au civil la reconnaissance d’une faute personnelle et non de service, ce qui le rendrait redevable des 24 millions d’euros de dommages et intérêts réclamés par les parties civiles. Toute cette période a focalisé l’attention du grand public, qui est maintenant davantage familier avec ce que devrait être le rôle des élus locaux dans une crise majeure.

2 – Enchaînement. Etablir “l’arbre de causes” de la catastrophe est une source de réflexion pour chacun : l’improbable arrive. La tempête n’était pas exceptionnelle, mais redoutable parce que frappant les côtes un jour de fort coefficient de marée, et en pleine marée haute. La submersion marine a frappé la commune non pas sur sa façade maritime, mais à revers, via le fleuve Le Lay, et malgré des digues d’une hauteur inégale. L’urbanisation de quartiers nouveaux, à la satisfaction de (presque) tous, s’est faite sur des terrains classés initialement en zone rouge et reclassés en zone bleue sur pression de la commune. Les maisons de plain-pied étaient adaptées à des retraités mais sans zone refuge, et sous les niveaux de sécurité (d’ailleurs mal connus). La consigne unique de confinement, l’absence de bâtiment public d’accueil et de scénarios d’évacuation, ont constitué un piège en pleine nuit pour des habitants bloqués par leurs volets électriques défectueux. Les secours étaient eux–mêmes inondés (centres locaux) ou peu disponibles (hélicoptères) et donc retardés.

3 - Judiciarisation. On ne peut faire le procès des dangers (tempêtes, inondations), mais on peut toujours faire celui de nos vulnérabilités (urbanisation, protection, alerte). La gestion de crise des prochaines catastrophes aura de plus en plus un volet judiciaire. Les avocats de la défense regrettent que la justice ait jugé plus au nom des victimes qu’au nom de la société, qu’elle ait plus visé la compassion que l’explication. Peut-être, mais c’est une raison de plus pour les élus de travailler sur la gestion globale et préventive des risques.

4 – Responsabilité. Les obligations d’une commune peuvent varier en fonction de son profil de risques. Cependant chaque maire est responsable de la police municipale qui comprend “le soin de pre?venir, par des pre?cautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours ne?cessaires, les accidents et les fle?aux calamiteux ». De même « en cas de danger grave ou imminent, tel que les accidents naturels (…), le maire prescrit l'exécution des mesures de sûreté exigées par les circonstances ». C’est bien sur cette base que le maire de la Faute sur Mer a été jugé, pour homicide involontaire de 29 personnes (aggravé par ses fonctions), mais aussi pour mise en danger de l’ensemble de sa population.

5 – Information. Le droit à l’information de la population sur les risques est consacré, mais le procès nous a rappelé qu’il faut aider les habitants à l’exercer. C’est donc à la commune d’accomplir son devoir d’informer, sans faux semblants et par tous les moyens. Les occasions sont multiples : le PCS et le DICRIM bien sûr (qui devraient être généralisés), le PLU, l’information acquéreurs-locataires, les réunions publiques spécifiques, l’affichage municipal et sur les lieux à risque, la mise en avant de repères de crues ou de la mémoire des événements précédents.

6 - Coûts. Il est toujours difficile de convaincre que la prévention coûte moins cher que la crise. En effet, par définition les risques majeurs font l’objet d’une faible probabilité difficile à concilier avec des préoccupations et de chiffrage de court terme. Pourtant dans cette affaire l’analyse coûts-bénéfices est très claire, surtout si l’on ajoute au coût humain des 29 décès celui du rachat et la destruction décidés par l’Etat (en urgence après la catastrophe) de tout le quartier inondé. La relance des plans de rénovation de digues est donc la bienvenue, du moment que l’on ne se contente pas de cette forme de protection partielle et qui ne peut tout régler.

Procès Xynthia : première condamnation d’un élu pour homicide involontaire

Le jugement du Tribunal Correctionnel des Sables d’Olonne est maintenant connu dans le détail (sur 316 pages) ; il est encore plus accablant que le réquisitoire, et certaines formules resteront dans les mémoires.

Selon le Tribunal, le maire (condamné à 4 ans d’emprisonnement) « a, par son immobilisme pendant dix ans, volontairement dédaigné les avertissements de l’Etat quant au risque de submersion marine ». En poursuivant l’urbanisation de zones sensibles, « il a accepté délibérément de faire courir un danger mortel à ses concitoyens et de les laisser sans aucune protection ». Ces fautes sont « la négation de l’esprit de responsabilité que l’on doit attendre d’un maire, elles témoignent d’une indifférence à autrui qui s’est encore accentuée après la tempête et qui a encore augmenté le sentiment de perdition des victimes ».

De même, pour les juges, l’adjointe à l’urbanisme (2 ans d’emprisonnement ferme) « a largement pratiqué la porosité entre ses fonctions d’élue et ses activités de lotisseur et de promoteur ». En n’informant pas la commission urbanisme des risques de submersion qu’elle connaissait, elle « les a privés d’une réflexion et d’une démarche fondamentale qui étaient pourtant de leur compétence ». Il s’agit donc d’une « trahison des devoirs d’élu de la République et de la confiance accordée par ses concitoyens, sur l’autel de la vénalité ».


Contrairement à ce qui a pu être dit, l’Etat ne sort pas indemne du procès. Le Tribunal relève bien des défaillances : inconséquences, défauts de communication, faiblesses d’organisation. Cependant il relaxe le seul fonctionnaire prévenu car sa négligence est une faute simple et non condamnable pénalement. Les juges rappellent également que les victimes n’ont aucune responsabilité puisque des informations vitales leur ont été cachées par les élus. « Elles ont vécu dans la confiance en ceux qu’elles avaient désignés pour les protéger. Cette confiance n’est ni surprenante, ni naïve, c’est celle qu’un citoyen en France peut normalement avoir vis à vis de ses élus ».

Un nouveau procès en appel aura lieu à l’automne 2015, mais il est très probable que le principe de l’emprisonnement ferme sera maintenu.

Frédéric BESSET, ancien maire, consultant en risques majeurs et sécurité civile

Article recomposé à partir de deux articles parus dans la « Chronique des risques » du Journal des Communes Durables, octobre 2014 et janvier 2015

 

 

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