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Progrès et Innovation

Œuf

Il ne s’agit pas ici d’œuf de Pacques, mais des mauvaises idées qu’il serait bon de tuer dans l’œuf. Elles sont légion, et nous en prendrons quelques exemples.

Les vols en apesanteur. Le 15 mars dernier, Air Zéro G emmenait une quarantaine de personnes vivre une aventure exaltante, s’extraire de la pesanteur, faire fi de la Loi de la gravité universelle.

Près de 6 minutes de bonheur, largement reprises par les medias (les journalistes ont eu droit à s’envoyer en l’Air en avant première) et présentées comme un « must » promis à un brillant avenir. On avait entendu parler de richissime Richard Branson qui s’était offert une quasi mise en orbite pour le simple plaisir. 200 000 dollars américains, et l’annonce d’un plaisir qui fait rêver. Un développement commercial en vue. Beaucoup moins cher en France, sois l’égide du CNES, 6000 € pour chacun des 40 émules de Tintin en Route vers la lune. « Les 40 passagers auront droit à une parabole de pesanteur martienne (0,38g), deux paraboles de pesanteur lunaire (0,16g) et trois séries de quatre paraboles en apesanteur (0g) entrecoupées de pauses de 5 minutes » nous relate 20 minutes. J’ai cherché dans la presse une information sur le bilan carbone de l’opération : Rien, un immense vide. On est bien en apesanteur de ce côté-là. Ça ne doit pas être intéressant, mais les vols ont vocation malgré tout à se multiplier. Le prochain aura lieu au salon du Bourget, en juin, et un autre à Mérignac en octobre. Au total, il est prévu 6 vols par an, et plus si affinité. Est-ce bien raisonnable de donner l’envie de consommer autant d’énergie pour 6 minutes de plaisir ? Ne peut-on chercher d’autres plaisirs, tout aussi intenses, à base de ressources humaines et renouvelables, comme le talent des artistes pour ne prendre qu’un exemple. En plein débat sur la transition énergétique, ces vols viennent à point pour rappeler qu’il y a du travail à faire ! Créer et promouvoir des loisirs « gratuits » si on peut dire, aussi consommateurs d’énergie relève d’une courte vue que l’on n’attendait pas chez des cosmonautes. Un luxe qui fait travailler des milliers de personnes, un objet qui demande des heures de travail, de l’ingéniosité, de l’imagination, bref du pur produit du génie humain, est créateur de richesses tout au long de sa chaine de production. Un luxe qui se traduit par une consommation d’énergie extra ordinaire, au sens plein du terme, et d’une contribution massive au réchauffement climatique est d’une autre nature. Il est confiscatoire, le mot est à la mode, de ressources de l’humanité, et cela d’autant plus qu’il tend à créer une contagion. Une idée à tuer dans l’œuf avant qu’il ne soit trop tard. Il y a mieux à faire avec cet argent-là, et avec cette énergie.

Les mauvaises idées sont comme la mauvaise graine, elles se répandent vite. Chauffer les terrasses de Café. C’est bien agréable de prendre un verre bien au chaud, dehors, en plein hiver. Au diable les saisons ! Et puis ça offre plus de places pour les cafés, ça les agrandit et tout le monde est content. Mais ce n’est pas idéal côté effet de serre et pollution locale. Au moment on l’on fait des efforts pour bien isoler les maisons, c’est l’inverse qui est autorisé pour les cafés. Chauffer à l’air libre, avec le rendement que vous imaginez. Bravo ! Pour réduire la pollution locale, on s’en est pris au Gaz. Mais l’électricité ne fait que déplacer le problème, avec les consommations largement concentrées en périodes de pointe, et donc une production correspondante dans les plus mauvaises conditions pour le climat et les émissions de polluants. Un plaisir qu’il aurait sans doute mieux valu « tuer dans l’œuf ». C’est comme les tomates en hiver, à éviter, alors que les premières poussées en pleine terre sont tellement plus savoureuses ! Au lieu de chauffer les terrasses en plein vent, les cafés des pays du Nord proposent des couvertures. Peu importe la manière, mais le vrai plaisir n’est-il pas la diversité des saisons, à prendre non comme une contrainte mais comme une chance d’échapper à l’uniformité, dont l’ennui est né, comme chacun sait.

Autre exemple qui montre que les bonnes intentions peuvent avoir des effets pervers. Les bornes de recharge des voitures électriques. Pas de problème pour les charges lentes, quelques heures, une nuit, surtout hors des périodes de pointe. Mais la recharge rapide dont on parle en complément de cette charge lente, est une vraie catastrophe. A tuer dans l’œuf. Elle nécessiterait une augmentation sensible de la capacité du parc de production d'électricité, compte-tenu des appels de puissance, et du fait qu’une partie de cette demande se manifesterait en heures de pointe. Outre le prix considérable des bornes, et le fait qu’elles ne seraient pas si rapides que ça  - on récupère 50 km d’autonomie toutes les 10  minutes de charge « rapide » - elles distribueraient en bonne partie une électricité carbonée, ce qui ne ferait que déplacer l’origine de la pollution et des émissions des gaz à effet de serre. Pas de quoi se réjouir ! Des solutions qui ne sont acceptables que dans des cas extrêmes, pour des dépannages, risquent fort, si l’on n’y prend garde, de devenir la manière ordinaire de procéder. Une sécurité devient ainsi la source d’une série d’excès, qui mettent en cause le bien fondé même du choix technologique.

Donner envie, et largement envie, de produits ou de services qui ne peuvent n’être que d’usage très restreint, ou encore amortir sur le grand public des techniques réservées à la recherche et à quelques rares usages professionnels, les dérives prennent des formes diverses. Dans tous les cas, ce sont des pratiques non durables, dans tous les sens du mot, quoi sont développées, toujours pour les meilleures raisons du monde, alors qu’une étude d’Impact très légère suffit à alerter les décideurs. Peut-être les craintes que j’exprime sont-elles exagérées. Tous les bilans et les perspectives ne sont pas rendus publics. Mais devant de telles présomptions, une preuve de l’innocuité, ou une présentation des conditions de « non prolifération » devrait être demandées par les pouvoirs publics. Le retour en arrière, l’interdiction de pratiques qui se révéleraient trop pénalisantes. La loi « Montagne » de 1985 a bien interdit les déposes en hélicoptère, mais  le courage politique et la pression de l’opinion étant ce qu’ils sont, il vaut mieux limiter et contrôler le développement de pratiques a priori dangereuses, et même les tuer dans l’œuf, que de devoir, après coup, procéder par interdiction.

Chronique mise en ligne le 20 avril 2013

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