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Progrès et Innovation

Autrement

Croire que l’on peut soigner notre économie en se polarisant sur les déficits publics serait une erreur. Nos modes de production et de consommation sont hérités d’un autre temps, il va falloir très vite faire autrement.

Les déficits publics qui font l’actualité aujourd’hui sont comme la fièvre : il faut la combattre, car ses effets peuvent être redoutables, mais il faut aussi et surtout en connaître la cause, pour guérir le patient.

Une thérapie trop exclusivement portée sur la fièvre pourrait bien se tromper d’objectif, et affaiblir au lieu de soigner. Avec le risque de mourir « bien portant », après avoir avalé toutes les potions prescrites par les grands professeurs. Les méfaits d’une austérité brutalement administrée sont souvent évoqués. Il faut impérativement trouver la cause du mal, de manière à pouvoir reprendre une croissance sans effets pervers, il va falloir vivre, consommer, produire, se déplacer autrement. Le développement durable est la recherche de cet autrement.

Le déficit public témoigne d’une mauvaise gestion d’ensemble de l’économie, alliant des rigidités de statuts à des rigidités dans les esprits. L’absence d’anticipation du secteur du textile face à l’ouverture des marchés européens à la Chine, pourtant annoncée 10 ans à l’avance, est un des nombreux exemples de la difficulté qu’éprouvent les acteurs économiques privés à changer de Business plan, à s’adapter au monde qui change. Il n’y a pas que l’Etat qui traine les pieds.

C’est que "les 30 glorieuses" ont marqué les esprits. C’était le temps béni, où toutes les erreurs étaient réparées ou masquées par la croissance. Certaines de ces erreurs étaient structurelles, et elles se révèlent aujourd’hui bien difficiles à assumer. C’est le cas d’un aménagement du territoire conçu pour soutenir l’industrie de l’automobile, et qui se traduit par une consommation importante d’énergie et d'espace ; c’est le cas d’une agriculture oublieuse des sols, transformés en simples supports pour des « intrants » d’origine industrielle. On se souvient aussi des concours entre villes sur la consommation d’électricité, considérée alors comme la mesure suprême du progrès. Les solutions industrielles avaient reformaté l’énoncé des problèmes. L’offre s’est imposée à la demande. Avec les années, les esprits, les cultures, les organisations sociales, les formations ont intégré ces nouvelles données, conçues à une époque où les limites du monde n’étaient pas perçues à leur juste valeur. L’efficacité n’était pas mesurée de la même manière, le toujours plus était roi, les ressources, le capital nature, l’espace disponible, semblaient infinis.

Tout ça donne de mauvaises habitudes. Au-delà des structures industrielles, d’aménagement, ce sont les mentalités qui ont été marquées. L’impossibilité de continuer « comme avant » est ressentie comme une entrave, provocant le réflexe de s’en défaire, plutôt que comme un signal, celui de la nécessité de changer. La décroissance sera notre lot si nous ne changeons pas, si nous ne trouvons pas de nouveau modèle de développement. L’Etat et les acteurs publics dans leur ensemble ont un rôle à jouer dans cette recherche, mais les acteurs privés, notamment les groupements professionnels et associatifs, ainsi que les entreprises leaders, ne doivent pas être en reste.
La pression provoquée par le Grenelle de l’environnement offre une bonne illustration de ce besoin de changer de modèle. Un des secteurs les plus concernés est le bâtiment. Un secteur préservé pour l’essentiel de la concurrence internationale, et qui n’était pas considéré comme un des plus dynamiques. Les objectifs ambitieux retenus dans le Grenelle ont totalement changé la donne. Les défis à la fois quantitatifs, et qualitatifs, que le secteur a à relever sont considérables, et excluent les petits arrangements, les progrès à la marge. L’innovation devient une obligation, et tout le monde s’y est mis, des fournisseurs (industriels) de matériaux aux concepteurs et aux entreprises. Le pari était difficilement imaginable quelques années plus tôt, quand la moindre contrainte supplémentaire provoquait des cris et des gémissements. Au lieu de se dépêcher de déposer des permis de construire à la veille du changement de réglementation, les opérateurs anticipent, et vont volontairement vers des performances nouvelles, de peur que leur ouvrage ne devienne rapidement obsolète. La pression du Grenelle crée de la valeur, et devient un moteur de progrès.

Il y aura bien encore des grincements, des échecs, des raccords hasardeux entre professions, mais la dynamique est lancée. Pas un jour sans que des projets ambitieux ne soient annoncés. L’effort de formation est considérable, et chacun apprend un nouveau métier, ou plutôt la nouvelle forme de son ancien métier. L’ère du changement est enclenchée, et ce sont les professionnels eux-mêmes qui vont le porter. La preuve que l’on peut faire autrement est ainsi administrée.

Les conservateurs de tous poils seront bien malheureux s’ils ne prennent pas goût au changement. Le développement durable est une affaire d’entrepreneurs. Une forte incitation à l’innovation, avec la prise de risque qui va avec. Il convient juste d’accompagner les premiers volontaires, de les garantir contre les inévitables échecs, de mutualiser les expériences, d’offrir des lieux et des occasions d’échanges. Faire autrement ne s’improvise pas, il faut créer les conditions du changement en instaurant la confiance dans l’avenir. Demain sera mieux qu’aujourd’hui à condition de faire autrement.


Chronique publiée sur le Moniblog le 13 juin 2010

 

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