Démocratie
Les élections sont l’instrument premier de la démocratie.. Elles organisent notre vie publique, et décident les grandes orientations de notre avenir. Comment intègrent-elles le développement durable ?
La question est récurrente. Les élections privilégient les thèmes du moment, les problèmes immédiats, le court terme. Elles exacerbent les clivages et la division de la population concernée, et provoquent des surenchères, les éternelles promesses intenables. Trois caractéristiques, court terme, clivages et surenchères qui ne conduisent guère à ce que l’on appelle la « bonne gouvernance », qui permet de voir loin, de rassembler la population sur un projet partagé et de créer la confiance avec les dirigeants. La démocratie, fondée sur des élections, est-il « durable » ?
Evidemment, nous savons qu’elle est le plus mauvais des régimes politiques, à l’exception de tous les autres. Elle n’est donc par parfaite, et l’important est, dans ces conditions, de connaitre ses défauts pour les corriger et en limiter les effets. Les évènements récents comme les attentats terroristes et les primaires permettent de bien voir les points faibles du système, et peuvent donner les idées sur la manière de se rapprocher le la « bonne gouvernance ».
La période préélectorale est redoutable. Chaque évènement est interprété, instrumentalisé, revisité en fonction des enjeux électoraux, et les élections « primaires » ont pour conséquence d’avancer le point de départ la compétition. Les évènements actuels le montrent clairement, que ce soit en France ou aux Etats-Unis. L’important est de gagner, peu importe les conséquences sur les suites du processus politique. Dans un premier temps, il faut gagner « dans son camp », ce qui conduit inévitablement à durcir le discours et à en demander toujours plus dans une direction, à l’opposé des camps adverses. Au lieu de chercher un consensus, il faut « cliver », la division est la règle, et elle se décline au sein même de chaque formation. Une logique d’escalade, fondée sur l’illusion selon laquelle 51% des votants pourraient imposer leurs vues au reste de la population. C’est bien comme ça que l’on obtient une France « ingouvernable », où les réformes sont impossibles. La multiplication des instances de décision et des corps intermédiaires vient tempérer la puissance de la « majorité ». La réponse la plus courante des dirigeants au pouvoir est de réduire l’importance de ces forces centrifuges qui les empêchent de gouverner en rond, au besoin en les court-circuitant en faisant usage de la « démocratie directe ». Celle-ci se voit ainsi dévoyée et instrumentalisée pour renvoyer les battus à leurs chères études. Ils sont vite qualifiés « d’opposition », conférant ainsi un caractère systématique et définitif aux différences, sacralisées et intangibles, de manière à bien diviser la France entre des camps irréconciliables. Où peut donc nous conduire la démocratie dans ces conditions ?
Un des effets de ces dysfonctionnements est le sentiment que tout ça ne sert à rien, que les dirigeants n’en font qu’à leur tête et se moquent bien de ce que pense la population qu’ils gouvernent. La distance entre le « peuple » et les « élites » se creuse, et la voie est ainsi ouverte aux discours ravageurs, s’appuyant sur le retour à un passé idéalisé, la recherche de boucs émissaires, le repli. Tout le contraire de l’exploration d’un futur à construire, de la prise en main des enjeux mondiaux qui nous impacteront de plus en plus.
Des élections qui conduisent à chercher ensemble des réponses originales, à prendre des risques partagés, est-ce possible ? Des élections qui, loin de provoquer les conflits et les invectives, conduiraient à des collaborations, à une écoute réciproque, et à un travail permanent avec les citoyens de manière à recréer une proximité entre eux et leurs élus. C’est la culture de la « classe politique » qui est en cause, fondée sur la compétition et la recherche du pouvoir plus que sur le « bien public » comme on dit à Dijon.
Une réponse serait dans l’existence d’une autorité supérieure, reconnue de tous, et garante du bon fonctionnement des institutions et, au-delà, du bon fonctionnement de la démocratie. Il se trouve que l’élection du président de la république au suffrage universel à contaminé la fonction, en en faisant un enjeu politique identique à celui des autres acteurs. Joueur et arbitre, ça commence mal, et ça donne le ton pour toutes les autres élections, même si notre régime est « parlementaire » et non « présidentiel ».
Une autre piste serait la mobilisation de la « multitude », au sens de « l’âge de la multitude » (1). Réflexion inspirée par la révolution numérique, elle s’applique au développement durable. Il s’agit en effet de prendre conscience que la vraie richesse productive, « intrant abondant et peu cher qui irrigue et propulse l’ensemble de l’économie » est la multitude, les êtres humains. Le pouvoir n’et donc plus dans l’accession à des « fonctions suprêmes », mais dans la capacité à « s’allier avec la multitude, ces milliards d’individus éduqués, équipés et connectés, et à les inviter dans leur chaine de valeur ». L’élection est inversée : ce n’est plus l’électeur qui fait confiance et donne mandat à un élu, mais l’élu qui valorise le potentiel de groupes sociaux et de la multitude. C’est un changement profond de culture politique et économique qui est proposé, pour sauver à la fois l’économie et la démocratie. Un changement qui n’est pas sans risque, mais qui mobilise une ressource illimitée, le talent humain, au lieu de ressources matérielles comme l’a été (et est encore) le pétrole. Une transition incontournable pour le développement durable…
1 - L’âge de la multitude, de Nicolas Colin et Henri Verdier, Armand Colin, 2012 et 2015.
- Vues : 1998
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