Accéder au contenu principal

Gouvernance

Main

Les joueurs de bridge le savent : il faut savoir passer la main à l’adversaire. Tout un art, qui se décline aussi non pas avec des adversaires mais des partenaires. On parle alors de se donner la main. Indispensable pour explorer les futurs, pour aller vers le développement durable.

Le facteur 4 est un objectif ambitieux. Deux fois plus de bien-être, en consommant deux fois moins de ressources(1). Un exploit qui ne peut se réaliser sans une coopération entre tous les acteurs concernés. On le dit dans de nombreux secteurs d’activité, notamment le bâtiment où de nombreux métiers se côtoient, en oubliant parfois de travailler ensemble.
Mais la difficulté la plus grande sera sans doute pour l’administration. Elle n’a pas la réponse à tout, mais elle a du mal à l’admettre. Dans les premiers temps du facteur 4, limité aux questions d’énergie, il était courant que les experts de l’Etat affirment qu’il ne serait pas possible d’atteindre les objectifs en 2050. En y regardant de plus près, ils voulaient dire qu’ils n’avaient pas trouvé la solution, ce qu’ils interprétaient comme « la solution n’existe pas ». L’idée qu’elle puisse exister ailleurs que dans leurs cénacles, où qu’il soit possible de faire émerger des solutions originales en s’adressant à la société, aux entreprises et aux citoyens, était probablement totalement incongrue. « Hors de l’Etat, point de salut » aurait-on pu dire. Passer la main demande à la fois de l’humilité et de l’habileté.
Passer la main sans précaution peut en effet conduire à des désastres. L’impression qu’il n’y a plus d’autorité, que tout est permis, est plutôt le signe de l’abandon que d’une bonne gouvernance. Passer la main comporte un risque, comme toutes les consultations et les procédures de participation. Mal menées, elles provoquent des surenchères. Des conflits parasites s’invitent dans le débat, les « grandes gueules » monopolisent la parole, etc. Mais ce serait trop bête, pour des enjeux majeurs tels que le réchauffement climatique, de ne pas mobiliser les intelligences et la créativité disponibles dans la société, et qui ne demandent qu’à participer à un projet collectif.
Le sentiment de perdre le contrôle des opérations est insupportable pour l’Etat, ou certaines de ses composantes. Nous sommes au pays de culture catholique, monarchiste et centralisée, où la vérité tombe d’en haut. Faire confiance aux acteurs de terrain, stimuler leur esprit d’entreprise, prendre appui sur leur expérience et leurs savoirs, voilà qui n’est pas dans la culture d’un Etat souverain, fier de sa superstructure et de ses « grands commis ».
Et pourtant, les initiatives sont nombreuses, sur le terrain. Par exemple, alors que les tentatives d’établir un marché du carbone piétinent, 30 entreprises du Maine et Loire s’associent pour « lancer une démarche volontaire de diminution des émissions de gaz à effet de serre et de valorisation des kg de CO² évités ». Une initiative du Centre des jeunes dirigeants d’entreprises, et du Centre permanent d’initiative pour l’environnement2. Ils s’appuient sur un outil proposé par une start-up bretonne, 450, d’un compte épargne CO². Il s’agit de remplacer le concept pollueur payeur, je pollue donc je paye, par son symétrique positif, « je réduis, ça me rapporte ». Les échanges se font sur la base de la valeur tutélaire du carbone définie dans les rapports Quintet et Rocard. Voilà 30 entreprises qui prennent leur destin en main, sans attendre de directives venues du ciel.
La politique change alors de nature. Au lieu de dire à chacun ce qu’il doit faire, elle consiste à mobiliser les volontés qui ne demandent qu’à s’exprimer. Il n’y a qu’à ouvrir les yeux, la France est féconde d’initiatives modestes par leur taille mais bourrée d’astuces et de d’imagination, souvent loin des cadres de pensée à l’honneur. La formule d’appels à projets permet d’en faire « remonter » quelques uns, mais ce n’est qu’une partie bien faible de l’iceberg. Et c’est souvent pour centraliser plutôt que pour passer la main.
Depuis quelques années, des clubs et autres types de groupement s’efforcent de mettre en valeur ces initiatives. Certains sont même un peu plus anciens, comme le GESEC(3), né à la fin des 30 glorieuses, il y a une quarantaine d’années. Un GIE d’entreprises, 350 au total, des très petites, des petites et des moyennes, dans le secteur de l’énergie, solidaires dans la construction « entre pairs », de leur avenir. Plus récemment, c’est le projet Up(4), lancé par le groupe SOS comme plateforme de l’innovation sociale. Le secteur public s’engage également sur cette voie avec la 27e région(5) et l’espace Superpublic, inauguré à la mi novembre, et qui « s’adresse à tous les fonctionnaires, professionnels, praticiens, chercheurs et étudiants qui souhaitent transformer l’action publique de l’intérieur ». Ce ne sont que quelques exemples, mais la liste est longue des « incubateurs d’innovation sociale », quelle qu’en soit la forme.
L’innovation sociale ne viendra pas des institutions dominantes, filles des anciennes pratiques. Ce sont les acteurs de base qui peuvent l’apporter, pour peu qu’ils se donnent la main, échangent entre eux et cherchent ensemble des voies originales de progrès. Faut-il encore que les puissants de ce monde ne les étouffent pas, et qu’ils sachent passer la main. Ils ont tout à y gagner. On a souvent besoin d’un plus petit que soi.

1 - Selon le sous-titre du rapport au Club de Rome : « Factor 4 : Doubling wealth – halving resource use, a report to the Club of Rome », Earthscan Publications Ltd., Londres, 1997, par Ernst Ulrich von Weizsäcker (fondateur de l'Institut Wuppertal pour le climat, l'environnement et l'énergie, Allemagne), Amory B. Lovins et L. Hunter Lovins (Institut Rocky Mountain, Colorado, Etats-Unis).
2 - Source : Energie Plus, N° 524 du 15 avril 2014
3 - www.gesec.fr
4 - www.Up-conferences.fr
5 - http://blog.la27eregion.fr

 

  • Vues : 2444

Ajouter un Commentaire

Enregistrer