Echecs
L'art des enchainements, de l'anticipation, est à la base de nombreux jeux de stratégie, comme les échecs. Une forme d'esprit qui peut s'avérer aussi très fructueuse pour le développement durable.
Nous ne parlerons pas ici du contraire des succès, ce serait trop triste. Il faudrait en outre en parler dans une réflexion générale sur l’évaluation, dans une démarche de progrès, ne serait-ce que pour reprendre espoir ! L’innovation suppose des risques, et par suite des échecs, et le problème ne réside pas tant dans l’échec lui-même que dans la nature des réactions qu’il provoque, et la capacité à en tirer des enseignements.
Prenons donc le mot Echecs d’une autre manière, comme un jeu. Un jeu qui a acquis depuis des siècles ses titres de noblesse, avec ses origines indiennes ou persanes, ou encore chinoises, et son immigration en Europe avec les arabes à l’époque de Charlemagne. Les échecs sont un jeu de stratégie. Il faut comprendre des enchaînements, prévoir des réactions aux mouvements des pièces adverses, ne pas se laisser surprendre. Voilà qui nous prépare bien au développement durable, lequel conduit également à s’interroger en permanence sur les conséquences de telle ou telle décision, à anticiper par rapport aux décisions des autres et aux évènements, à apprendre comment réagir en cas d’imprévu. Le jeu d’échecs, c’est entrer dans l’esprit de l’adversaire, comprendre sa manière de raisonner, sa logique interne, de même qu’il n’y a pas de politique de développement durable sans connaissance fine du jeu des acteurs, sans recherche de leurs motivations, sans étude de leurs logiques de fonctionnement.
Pour ceux qui n’ont jamais joué aux échecs, sachez que vous disposez de pions et de pièces avec lesquels vous manœuvrez, forcément habilement. Vous menacez sans cesse les positions de l’adversaire, pour vous rapprocher de son roi et le mettre en difficulté, en échec précisément, en échec et mat pour finir. Quand une pièce est menacée, deux attitudes sont envisageables : soit son détenteur la déplace pour déjouer la menace, soit il met en place une dissuasion, une autre menace qui neutralise celle de l’adversaire. Les deux formules sont bonnes selon les circonstances, mais la seconde est beaucoup plus exigeante, car il faut maintenir en permanence une capacité de riposte, ce qui entraîne souvent une perte de disponibilité de ses forces pour attaquer l’adversaire. Le développement durable consiste bien sûr à réduire des risques exagérés par rapports aux enjeux, à ne pas se laisser surprendre, à ne pas laisser s’accumuler des menaces fortement consommatrices d’énergie, de réserves et d’attentions pour y faire face efficacement. Il faut aussi garder de l’influx pour gagner la partie. Le développement durable, c’est aussi aller de l’avant, innover, trouver des réponses originales aux questions nouvelles qui se posent tous les jours comme aux questions récurrentes aux ramifications multiples et enchevêtrées. Il faut donc des arrières solides, une défense qui « assure », pour se permettre de prendre les risques de la découverte, de l’exploration de futurs.
Les échecs se jouent sur un échiquier de 64 cases, pas une de plus, et dont les limites sont vite atteintes comme nous entrevoyons aujourd’hui celles de la planète. L’attaque et la défense puisent sur les mêmes forces, ce sont les mêmes pièces qui protègent le roi et qui tentent d’encercler le roi adverse. Ces forces ne se renouvellent pas, elles s’épuisent au fur et à mesure que la partie avance, et l’économie des moyens devient une des clés du combat. Comment utiliser au mieux les forces dont je dispose, comment les organiser, comment leur faire occuper le terrain, pour viser à la plus grande efficacité ? Question au cœur du développement durable, à laquelle le jeu d’échecs nous prépare. Le mot Echec, si triste et porteur de mauvaises nouvelles, trouve avec le jeu une toute autre résonnance, un sens offensif et plein d’énergie. C’est la magie du développement durable qui opère !
Chronique publiée en mars 2008
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