Contrainte
Transformer les contraintes en opportunités, voilà un classique bien connu. C'est bien sûr un défi, parfois impressionnant, qui traduit l'esprit de dépassement de soi, caractéristique du développement durable.
Contrainte, un mot sévère, mais qu'il serait bien imprudent de négliger.
Nous vivons dans un monde qui a des limites que nous comprenons sans doute mieux aujourd'hui que pendant les « trente glorieuses » ; nous vivons en société, avec des voisins, des proches, des relations de toutes natures ; nous avons donc un tas d'équations à résoudre en permanence, en termes de ressources et d'intégration sociale, qui constituent un réseau de contraintes qu'il faut bien affronter.
Le développement durable nous conduit à aborder les contraintes de manière offensive, sans avoir peur d'anticiper, de manière à les intégrer dans nos projets et nos actes, quotidiens ou exceptionnels. Il s'agit alors de gagner sur plusieurs tableaux, se donner du plaisir et du bien-être tout en desserrant les contraintes et acquérant ainsi plus de liberté. Il ne faut pas oublier pour autant de savoir ce que vous voulez, quelles sont les valeurs que vous voulez défendre, quel genre de vie vous souhaitez avoir. Les objectifs doivent être assez clairs pour ne pas être confondus avec des contraintes. On a vite de prendre des contraintes pour des objectifs, si on n'y prend garde.
Si je construis une maison, c'est pour y habiter, m'y sentir bien, à l'aise, avec du confort, etc. Ce n'est pas pour faire des économies d'énergie. Celles-ci sont une contrainte que je me donne, ou que la réglementation me donne, et que je dois respecter en construisant ma maison, et par la suite en l'occupant et en l'entretenant habilement. Imaginez ce que serait l'inverse : on fait une maison pour économiser l'énergie, avec pour contrainte de pouvoir accueillir dignement des occupants. Ce serait un peu le monde à l'envers... On voit tout de suite que les deux caractéristiques recherchées, qualité de vie des occupants et économies d'énergie n'ont pas le même Statut, et il est dangereux de les mélanger. Cela n'empêche nullement de concevoir le bâtiment pour incorporer la contrainte, et la traiter dans les meilleures conditions possibles. Plus tôt on le fera, plus ce sera facile de s'affranchir de la contrainte, et de consacrer l'essentiel de son art à la recherche de la qualité de vie, qui reste l'objectif. Notre exigence d'économies d'énergie, avec l'ambition forte de diviser par quatre nos consommations , n'est qu'une contrainte qui va nous amener à redoubler d'ingéniosité pour atteindre l'objectif de vivre toujours bien, et même encore mieux qu'aujourd'hui. On a juste une difficulté de définir collectivement en quoi consiste le « bien vivre », et c'est à cette question que la « bonne gouvernance » doit nous aider à répondre.
La contrainte ne doit pas être négligée, elle doit aussi être bénie. Heureuse contrainte qui nous oblige à sortir de notre train-train, à chercher des solutions originales, à nous dépasser. Dans beaucoup de colloques, on évoque cette alternative contrainte ou opportunité ? L'opposition des termes n'est souvent là que pour lancer un faux débat, il faudrait dire contrainte et opportunité. Les contraintes sont souvent des défis à relever, et par suite une stimulation de notre Intelligence, qu'il vaut mieux activer collectivement pour obtenir le dépassement nécessaire.
Le développement durable est un pari sur l'intelligence. Pour faire vivre dignement 9 milliards d'êtres humains en 2050, on va remplacer de la matière par de la connaissance de la matière, par du savoir faire, de la technologie, et de l'organisation sociale. L'intelligence à plusieurs, demandant des méthodes de travail favorisant la coopération des acteurs, valorisant leur complémentarité.
Le secteur de l'énergie est aujourd'hui en vedette, conséquence du réchauffement climatique et du prix de la ressource. On peut relever le défi en allant toujours plus loin chercher de l'énergie, et en stockant toujours plus profondément des résidus indésirables, gaz carbonique ou déchets radioactifs. C'est une sorte de fuite en avant, sans doute acceptable pour passer un cap difficile, pour une transition, mais guère défendable en régime de croisière.
Le défi est plutôt à relever par la recherche de l'efficacité en termes de service, car ce n'est pas l'énergie qui est intéressante en soi, c'est ce qu'elle nous permet de faire, le service rendu. Technologie, instruments financiers, réglementation, organisation sociale, autant de pistes de travail pour relever le défi, avec à la clé de nouvelles activités, de nouveaux métiers. Cette évolution est déjà en marche, et combine les différentes pistes, mais on sent bien que ce n’est qu’un début encore prudent, et qu’une accélération sera nécessaire après une période de rodage. Le rapport récent de l’économiste britannique, Nicholas Stern, décrit avec beaucoup de clarté les termes de l’alternative qui s’ouvre à nous : d'un côté ne rien faire, le business as usual, dont le coût est estimé à 5% minimum du PIB de la planète, avec une possibilité de monter à 20% en fonction de diverses hypothèses. D'un autre côté, prendre au contraire le taureau par les cornes, affronter la difficulté, ce qui ne coûtera que 1% de ce PIB. Il n’y a donc pas photo sur le choix à faire. Le rapport va plus loin : la mobilisation nécessaire pour relever le défi sera féconde en termes d’innovations, et pourrait bien valoir un ou deux points de PIB, un bonus qui rendrait l’opération gagnante en elle-même.
Une bonne contrainte, en définitive, qui nous conduit à nous dépasser, à innover pour parvenir à alléger la pression sur les ressources et le milieu, tout en continuant à bien vivre, et en offrant aux prochains 9 milliards d’êtres humains des conditions de vie dignes. Une contrainte qui nous amène pour cela à préciser notre objectif pour l’humanité, le type de société que nous voulons pour les prochaines générations.
Chronique publiée le 8 février 2007, revue le 11 décembre 2009
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