Heure
En marge du débat sur la transition énergétique, la pression pour l’exploitation des gaz de schistes continue. Une bonne indication de la posture des acteurs économiques sur les changements qui nous attendent.
Voici venir l’heure de vérité. Merci au gaz de schiste de la provoquer.
On a pu penser un instant que les puissances économiques de notre pays s’étaient converties. Il faut développer les énergies renouvelables et les économies d’énergie. Un beau discours, politiquement correct en public. Les énergies renouvelables, hormis l’hydraulique, restaient marginales, et les économies créaient leur propre marché de travaux et de fournitures, dans un contexte de crainte de la pénurie et de hausse des prix du pétrole.
Et voilà les gaz non conventionnels, et les huiles aussi, dans la foulée. Le prix élevé des énergies fossiles ayant été assimilé, tirons en profit. Il devient rentable d’exploiter des gisements à faible teneur. Les sables bitumineux, dans un premier temps, mais localisés dans quelques pays seulement. Et depuis quelques années, les gaz de schistes. Il fallait y penser. Tout ce gaz emprisonné dans des roches plus ou moins friables, analogue au fameux grisou dans les minerais de charbon. Une ressource considérable, mais difficile à exploiter, et très cher. Le prix actuel de l’énergie fait tomber ce dernier obstacle, sous réserve d’inventaire toutefois, car les conditions réelles d’exploitation, les sujétions à respecter, ne sont pas encore bien cernées. Mais rêvons un peu, imaginons que les conditions techniques sont réunies, et que les coûts soient compétitifs. Nous voilà autonomes en énergie, comme les Etats-Unis devraient bientôt l’être, grâce à une production locale. Il n’y a pas à hésiter.
Peut-être est-un mirage, mais les gens croient aux miracles. Un ballon d’oxygène nous est arrivé, en pleine crise économique. Le spectre de la pénurie et les ennuis de la dépendance s’éloignent. On va pouvoir continuer comme avant, retrouver l’âge d’or où l’on pouvait consommer de l’énergie sans mettre à mal la balance commerciale. Alors, les masques tombent. Le naturel revient au galop. La tolérance manifestée à l’égard de ces petits gars qui jouaient dans la cour aux énergies renouvelables n’a que trop duré. Elle nous coute d’ailleurs de plus en plus cher. C’est un luxe que nous ne pouvons nos offrir, en situation de crise.
On a du mal à imaginer que l’exploitation de ces nouvelles ressources soit compatible avec la lutte contre le réchauffement climatique. Supposons tous les problèmes techniques résolus, notamment les éventuelles fuites provoquées par les puits. Il s’agit somme toute d’une ressource nouvelle qui s’ajoute aux précédentes. Croire en une simple substitution relève d’un optimiste béat. Il est vrai qu’il vaut mieux brûler du gaz que du charbon, mais le charbon américain a vu son prix baisser, et s’exporte vers d’autres parties du monde, notamment l’Europe. Et quand la ressource « non conventionnelle » sera tarie, sans que l’on ait changé en profondeur les comportements et les techniques, on reviendra aux « conventionnelles ». Au total, plus nous aurons exploité de ressources carbonées, plus on retrouvera du CO2 dans l’atmosphère. Il y a bien la capture et séquestration du CO2, mais elles ne concerneront qu’une petite partie des émissions, selon toute vraisemblance. Les études d’impact sur l’exploitation du gaz de schiste, qui porteraient essentiellement sur les conséquences environnementales sur la biodiversité et la qualité de l’eau, sont-elles vraiment utiles, compte-tenu du constat qui peut être fait sur l’effet de serre ?
Le débat sur le gaz de schiste se situe pleinement dans l’ancienne économie, l’économie du carbone, alors que l’enjeu est justement d’en sortir, et de passer à une nouvelle économie, qu’il reste à construire. L’heure de vérité est celle du choix, de tourner la page, et d’aller vers un avenir à imaginer, ou de rester le plus longtemps possible dans l’illusion d’un passé éternel.
L’exploration des futurs possibles coute cher, elle est pleine d’incertitude, il y aura des échecs. La tentation de faire durer le passé est donc forte, et le moindre évènement qui peut faire croire que c’est possible trouve un écho évident. C’est le chant des sirènes, qui éloigne du bon chemin, avec des réveils douloureux. Méfions-nous des ballons d’oxygène qui éloignent des solutions durables.
Chronique mise en ligne le 21 octobre 2013
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