Miel
Les ruches envahissent Paris. Après le traditionnel jardin du Luxembourg et son école d’apiculture, on a vu le Conseil régional d’Ile-de-France, et plus récemment le Grand Palais, l’Opéra, et bien d’autres installations plus modestes mais tout aussi bourdonnantes. La banlieue n’est pas en reste. Les apiculteurs deviennent la coqueluche des grandes agglomérations.
La raison en serait la pollution. Non pas celle des villes, mais celle des campagnes. Peut-être parce que de nombreux services municipaux des parcs et jardins, à Paris et dans de grandes villes, réduisent leur consommation de produits phytosanitaires, l’air urbain est plus respirable par les abeilles que l’air des champs. On nous affirme que le miel de nos ruches citadines est exempt de toute pollution urbaine. Bonne nouvelle, qui ne compense guère la mauvaise, à savoir que les abeilles ne sont plus persona grata à la campagne.
Ce n’est pas la première fois qu’un tel phénomène se produit. Telle petite ville de Bretagne a conservé ses haies dans son espace bâti, la partie cultivée les ayant perdues à l’occasion d’un remembrement trop brutal. Résultat : les oiseaux sont plus dans la ville que dans les champs, et les citadins sont heureux d’entendre leurs gazouillis au printemps dès 5 heures du matin. La nature en ville, quel bonheur !
Les paradoxes de ce type sont nombreux. Les zones les plus artificielles deviennent des conservatoires de biodiversité. Une illustration intéressante de ce retournement de situation est donnée par les parcs zoologiques. Au début, on est dans le spectacle. Des animaux sauvages, voire féroces, sont donnés à voir, pour procurer des émotions et éveiller votre curiosité. Nous sommes dans l’exotisme, la découverte de ce monde qu’il nous est donné de conquérir, de domestiquer. Le prix à payer est lourd. Pour la nature, bien sûr. Des aventuriers se lancent dans ce business, braconnent à volonté, tuent les mères pour récupérer des petits. Ce sont les grandes chasses qui ont nourri le cinéma à une certaine époque. L’épopée des grands explorateurs et l’aventure coloniale sont implicitement présents dans ces zoos dont l’objectif premier était de montrer le maximum de bêtes sauvages dans le minimum d’espace. Les conditions de vie des animaux étaient souvent déplorables. Elles interdisaient dans les faits leur reproduction, et provoquaient une forte mortalité. Il fallait donc prélever dans la nature, encore et encore, pour satisfaire la curiosité et l’envie de frisson des populations de nos contrées. Le volet scientifique, naturaliste, était bien secondaire, surtout dans les nombreux établissements privés, plus proches du cirque et du parc d’attraction que de l’observation des mœurs animales.
Les choses ont bien changé. Des conventions internationales régissent la manière de prélever des animaux sauvages dans la nature ; la loi, en France et dans de nombreux pays, impose des garanties sur le traitement des animaux en captivité, de manière à leur laisser l’espace nécessaire pour une vie en bonne santé et pouvoir se reproduire. Et il se passe un autre phénomène, du type abeilles en ville. Ces zoos sont devenus des conservatoires de la biodiversité. Ils détiennent et protègent les derniers spécimens d’espèces en danger, parfois même en voie de disparition. C’est le triste constat de l’appauvrissement de certains milieux, ou de leur évolution en peau de chagrin, comme des forêts primaires durement touchées par le défrichement.
Une partie du patrimoine génétique, animal ou végétal, qui y prospérait, a été quasiment éliminé, et ne subsiste aujourd’hui que dans des parcs, bien loin de leur milieu d’origine. Ces parcs sont devenus les dépositaires de ce patrimoine, de ce qu’il en reste. Ils ont créé des réseaux d’échange, de manière à préserver la diversité génétique, en croisant tel mâle vivant à Los Angeles avec telle femelle de Saint Petersburg. Le petit nombre d’animaux restants oblige à une gestion très fine de ces unions, pour éviter toute dégénérescence.
Des abeilles qui se plaisent mieux en ville que dans les champs, des haies urbaines comme buttes témoins des haies des champs, des parcs d’attraction plutôt malsains devenus des hauts lieux de la biodiversité, voilà bien des curiosités. Nous pourrions nous réjouir, si elles marquaient des avancées. Hélas, elles ne sont souvent que le reflet de dégradations à grande échelle, à peine compensées par ces quelques réactions. Espérons juste que celle-ci, malgré leur caractère dérisoire par rapport aux reculs observés, joueront un rôle régénérateur d’une nouvelle perception de la nature et de ses apports, et fondateur d’une nouvelle culture, du développement durable, évidement !
Chronique publiée le 18 mai 2009
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