
Les routes de la liberté
Joseph E. Stiglitz
Aux éditions les liens qui libèrent, 2025
L'ambition de ce livre est claire. Il s’agit de répondre à la question : « Quel genre de système économique conduit le plus sûrement à une bonne société ? », Avec en arrière-plan une attaque frontale de la pensée libertarienne, de sa traduction néolibérale. Il dresse d'ailleurs une liste des échecs de cette pensée économique qui a dominé les politiques publiques depuis plusieurs décennies, en notant par exemple que le salaire minimum aux États-Unis est aujourd'hui de même niveau qu'il y a plus de 60 ans en tenant compte de l'inflation. Les politiques qui tendent à réduire à son strict minimum l'action de l'état n'ont pas honoré leurs promesses, et ont accru les inégalités. La confiance entre les acteurs est la condition du bon fonctionnement des marchés, et le néolibéralisme a détruit la confiance puisque tout est permis dans cet univers de concurrence exacerbée.
Il reproche également au néolibéralisme de négliger toutes les valeurs qui nous importent dans notre vie et notamment les dimensions sociales et environnementales. Elle « postule que l'humain est profondément égoïste et poursuit exclusivement son intérêt personnel étroit ». Un point de vue qui nous confine dans un système de pensée normalisé et réduit ainsi nos marges de liberté. Joseph Stiglitz rejoint à sa manière les critiques formulées par René Passet au sujet de l'homo economicus, dans son livre « l'économique et le vivant (1) ». Il observe que « le marché est inapte à gérer les ressources naturelles et à protéger l'environnement ». La prise en charge des externalités, des conséquences pour autrui de ses propres choix, n’entre pas dans les théories néolibérales, alors qu'elle serait au fondement de la civilisation pour Joseph Stiglitz.
La liberté dont il trace la route s'inscrit dans l'économie mais aussi dans tous les aspects de la vie. Il évoque notamment le mouvement de polarisation des idées où les réseaux sociaux jouent un rôle déterminant. La polarisation enferme les adeptes des modes de pensée et de ce fait réduit leur espace de liberté. Joseph Stiglitz développe la manière dont les codes sociaux permettent d'intérioriser des contraintes, qui restent bien sûr même si elles ne sont plus perçues. « Le façonnage de nos points de vue est croyances et surtout inconscient (…) Même si nous avons tous la même capacité de contester les normes dominantes, notre liberté d'agir en conséquence est loin d'être équitablement répartie. » Joseph Stiglitz évoque une autre main invisible, sous la forme de la pression des pairs et des normes sociales, bien plus performantes parfois que les règlements.
La liberté selon Stiglitz n'est pas celle des libertariens, l'absence de contrôle se traduisant dans les dans la pratique par une augmentation de la liberté des uns au détriment de la liberté des autres, ce qui nous éloigne du concept de bonne société. A l’inverse, certaines restrictions de liberté en créent de nouvelles, et ouvrent le champ du possible. La perception de l’impôt, notamment, au profit d’un gouvernement fort, n’est pas attentatoire à la liberté des libertariens, mais permet au contraire de libérer des énergies latentes. Ce sont des gouvernements qui ont mis en place des solutions à des grandes crises, le new deal pour la crise de 1930 ou le renflouement des banques en 2008, des crises où le marché libre avait entrainé toute l’économie.
Ce tour d’horizon des politiques néolibérales et des manières dont la liberté se manifeste dans nos vies personnelles ou publiques conduit Joseph Stiglitz à exprimer sa préférence pour un système économique qu’il appelle le capitalisme progressiste, qui ressemble fort à la social-démocratie, régénérée cette fois. Un équilibre à trouver démocratiquement entre liberté et coercition, autour de six axes, la société de la connaissance, une économie décentralisée dotée d’un riche système d’institutions, rééquilibrage des relations de pouvoir, justice sociale, une action collective forte, et le façonnage des individus et de la société vers plus d’empathie et plus de créativité.
Un beau programme, qui pourrait être une source d’inspiration en ces temps de recomposition politique.
1 Publié chez Payot, 1979
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