C’est le moment d’être malin
Avec 1% de la population mondiale, la France ne peut plus compter sur sa puissance numérique. Il nous faut être malins, surtout en cette période ou les empires se reconstituent.
Nous entrons manifestement dans une période de brutalité. Adieu le droit et les conventions internationales, voici la loi du plus fort. Une étape nouvelle de l'histoire de l'humanité qui nous rappelle le temps ou les empires faisaient la loi. Malheur aux vaincus. Ce recul de la civilisation, telle qu’elle est perçue dans notre monde européen, nous émeut à juste titre. Il ne doit pas nous paralyser. C’est le moment d'être malin et surtout créatif. Nous en avons les moyens. La vieille Europe est riche d'une culture qui a traversé de nombreuses épreuves, d'une population fortement éduquée, d'organisations sociales et sociétales éprouvées. Sa position longtemps dominante dans le monde l’aura sans doute endormie, et elle a du mal à trouver sa place dans le nouveau monde qui se constitue. Ce n'est pas d’hier.
L'ouverture du commerce européen à la Chine nous en donne une bonne illustration. Engagée dès 1978, la décision d'ouvrir le commerce européen aux textiles chinois est prise en 1994 pour une application au premier janvier 2005. 10 ans avant l'échéance qui aurait dû déclencher chez nous une période d'intense créativité. Puisque les produits courants seraient en bonne part fabriqués en Chine à un coût nettement inférieur au coût européen, qu’allait devenir le pouvoir d'achat ainsi dégagé ? À quoi nos concitoyens allaient-il consacrer l'argent économisé sur les tee-shirts et autres produits « made in China » ? Comment faire, pour ne pas alourdir le déficit commercial déjà lourdement pénalisé du côté du pétrole, pour que les Français dépensent ce nouveau pouvoir d'achat en produit fabriqués chez nous ? Les 10 ans de préavis auraient dû permettre d'apporter des réponses, mais non, la réponse a été le recours à des clauses de sauvegarde et à des reports d'échéances. Encore un instant Monsieur le bourreau. Aucune anticipation sérieuse. Les Français ont profité de cet argent économisé pour acheter des téléphones portables et du matériel électronique fabriqué pour l'essentiel en Asie. Tout faux.
Est-ce la disparition dans les faits de la planification qui s'était montrée fort efficace pendant les 30 glorieuses, toujours est-il que nous avons montré une grande impréparation. Ne recommençons pas les mêmes erreurs.
Les différentes transitions auxquelles nous sommes confrontés devrait être l'occasion d'innover et d’imaginer des produits matériels ou immatériels originaux qui seront la base de la demande de demain. La France représente 1% de la population mondiale, et ce n'est pas par la puissance numérique qu'elle conservera sa place dans le monde mais par son positionnement à l'origine des consommations nouvelles demandées dans le monde entier. Le luxe en est un exemple, une consommation dont la valeur est largement immatérielle, celle de la marque, il faut en ajouter bien d'autres à imaginer, notamment dans le camp culturel. Et pour cela s’en donner les moyens matériels, et surtout organisationnels. Comment positionner l’innovation, dans un monde « fini », comment valoriser les ressources existantes au lieu d’en chercher toujours de nouvelles, comment mobiliser les capitaux immatériels ou matériels déjà existants et sous employés, comment booster le capital humain, notre richesse principale ?
C’est une réorientation des investissements actuels. Basculons de la recherche de nouveaux gisements d’hydrocarbures vers le meilleur usage des ressources existantes. Une ingénierie dédiée à une consommation optimisée, plutôt qu’à la production de biens sans préoccupation de leur utilité et de leur impact. Passons d’un bonheur mesuré à l’aune du PIB à une évaluation de la qualité de la vie telle que nous la vivons réellement (1). Recherchons quelle place donner au travail dans une société vieillissante, quelle conception des activités productives dans la société du 21e siècle, quelle gouvernance adopter pour que chacun se sente à sa place dans la société.
Pierre Veltz propose une économie « humano-centrée » dans son livre « L’économie désirable », centrée sur l’humain, sa santé, son bien-être, son alimentation, son éducation, ses divertissements et sa sécurité. C’est sur ces questions, confrontées aux exigences d’une planète qui n’en peut plus, que le débat doit d’ouvrir, pour « refonder » notre développement, et non dans la meilleure manière de prolonger l’économie d’hier, dont les composantes nous échapperont de plus en plus avec l’émergence de nouvelles puissances industrielles et agricoles. C’est le moment d’être malin.
1 - Dans son ouvrage « Le climat après la fin du mois », (PUF, 2019) l’économiste Christian Grollier nous rappelle « nous consommons 50 fois plus de biens et de services que nos aïeux de la Belle Epoque ». Nous vivons plus vieux et en meilleure santé, mais sommes-nous 50 fois plus heureux que nos aïeux ?
Édito du 20 novembre 2024
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