La démocratie est myope
La commission européenne est, dit-on, sur le recul, concernant le pacte vert européen. L’approche des élections européennes en serait la cause. Tous les discours sur les efforts demandés par la transition sont retournés par les partis populistes, et leurs poursuivants. Il faut une pause, il y a plus urgent, et puis d’ailleurs, la science et les technologies vont nous sauver. Dans la foulée, le souhait d’éviter toute contrainte conduit à remettre en question leur origine. Pourquoi tant d’efforts, est-on certain que c’est nécessaire, n’est-ce pas une invention pour nous taxer encore plus ? Les climatosceptiques gagnent des points. Même constat au Royaume Uni, reculade du Premier Ministre sur l’écologie, les élections approchent. Le constat est triste : la démocratie ou l’écologie, il faut choisir.
Il est souvent rappelé que le marché est myope. Il ne voit pas loin. Les opérateurs seraient sensibles avant tout aux tendances du moment, peu importe les conséquences à long terme. Le court-termisme règne, malgré toutes les alertes sur le futur. Il semble bien que la démocratie aussi soit myope. Le retour régulier devant les électeurs oblige à les satisfaire en continu. Le long terme n’est pas payant électoralement parlant.
La dictature de l’immédiat est bien réelle, et c’est du pain béni pour tous les populistes dont la ligne de conduite est la réponse aux préoccupations de l’instant, sans souci des répercussions des solutions apportées. Mauvaise affaire pour les tenants du long terme et de la complexité du monde. Il faut se projeter dans un avenir incertain, imaginer les interactions entre des évènements apparemment sans rapport, accepter un effort sans retour immédiat. Le développement durable n’est pas spontanément vendeur.
La réponse serait de rendre le rendre plus attractif, mais la frugalité n’a de charme que pour ceux qui ont bénéficié de l’abondance, après en avoir exploré les limites. Le risque est grand de n’attirer que les convaincus, alors que l’objectif, en démocratie, est de convaincre le plus grand nombre.
La démocratie est une compétition. L’idéal aurait été que ce soit une recherche collective de consensus, ce qui arrive encore dans de nombreuses sociétés dans le monde, souvent caricaturée, sous la forme de palabre. Faire émerger un accord à l’issue d’échanges entre toutes les parties. Mais la vie politique a changé la donne. Il s’agit plus d’accéder au pouvoir que de faire émerger un projet commun. La confrontation de projets opposés est mise en scène à tous les niveaux, seules les communes de moins de 1000 habitants disposant dans notre pays d’un régime personnalisé d’élection des conseillers. Il faut un vainqueur et des vaincus. Il faut donc absolument séduire les électeurs, et la sagesse populaire a donné la règle du jeu : on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre, ou encore on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif.
Le discours constitué à base d’alertes - tout va mal, il faut tout changer - n’est pas le plus performant de ce point de vue. Il peut fonctionner le jour où la catastrophe est là, et encore pas longtemps. Les inondations sont vite oubliées, le beau temps revenu, et nombreux sont ceux qui veulent oublier ces mauvais moments et reprendre la vie « comme avant », y compris construire en zone inondable. Quand les enjeux sont lointains, dans le temps ou l’espace, c’est encore plus difficile. Etablir le lien entre ce qui se passe chez moi et ce qui arrivera dans 10 ans à l’autre bout de la planète, et en faire un argument électoral relève de l’exploit. Ça peut marcher une fois, sur la base de l’émotion, mais cette dernière s’émousse vite, l’actualité reprend vite le dessus.
Le côté Cassandre de l’écologie n’est pas un bon argument électoral.
Il fut un temps où l’écologie rimait avec qualité de la vie, c’était plus engageant. Des politiques bonnes à la fois pour nous-mêmes, ici et maintenant, et pour la planète. Le double dividende en tête de gondole pour « vendre » l’écologie. Est-ce le mot « dividende » qui dérange ? Il n’est plus question que de la planète, du climat, des vrais sujets, bien sûr, mais qui nous semblent bien loin, et devant lesquels nous nous sentons bien petits et impuissants. Prenons l’exemple des bâtiments, un des poids lourds de l’effet de serre, consommateur d’espaces et de ressources minérales. Le concept de haute qualité environnementale, HQE, né en 1996, associait les intérêts des occupants, leur bien-être, leur santé, à celui de la planète. Eh bien, très vite, l’accent a été mis sur l’énergie et le carbone. L’habitant n'y était plus. Côté rénovation, il n’est question que de rénovation énergétique, un aspect important mais très technique, auquel les gens ne comprennent pas grand-chose. Difficile, dans ces conditions, de rendre le sujet populaire.
L’exemple de l’alimentation montre que le double dividende fonctionne encore (sans le mot dividende, un gros mot). Le bio bon pour la planète et pour les humains, leur plaisir gustatif et leur santé. Tout bon. Pourquoi pas dans d’autres domaines ?
Les électeurs nous font un rappel que nous aurions tort de négliger. Il est possible de gagner sur les deux tableaux, le présent, et le futur. Il faut pour cela le vouloir et s’en donner les moyens d’une part, et le faire savoir d’autre part. C’est ainsi que nous mobiliserons pour le développement durable et que démocratie et écologie marcheront ensemble.
Edito du 18 octobre 2023
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