
Climat et facteur temps
Le débat sur le nucléaire est relancé depuis quelques années. Le temps presse, le parc existant vieillit, il faut penser à la relève. Ajoutons que la décarbonation va entraîner un report de la consommation des énergies carbonées vers les décarbonées : nous utiliserons moins d’énergie au total, mais plus d’électricité. Comment faire face ?
Les différents scénarios qui ont été élaborés donnent tous une place importante aux énergies renouvelables, éolienne, terrestre et maritime, solaire, diffuse ou en centrales, biomasse, solide ou gazeuse. La différence vient essentiellement du nucléaire, avec ou sans, nouvelles centrales ou non. Aucune solution n’est évidente. Elles supposent toutes un effort de maîtrise des consommations, et des avancées techniques raisonnables mais pas acquises pour autant. Quelques paris sont à gagner sur la vitesse des progrès tant sur les modes de production que de stockage ou de distribution. Les renouvelables comme le nucléaire en sont tributaires, chaque scénario comporte des inconnues liées à des questions de comportement et d’acceptabilité, de résolution de problèmes techniques, ou encore d’accès à des ressources sensibles. Côté coût de production, le rapport du World Nuclear Industry Status Report (WNISR) sur les perspectives au niveau mondial, indique que « le coût de production du nucléaire varie désormais entre 112 à 189 $ le mégawattheure contre 36 à 44 $ pour l'énergie solaire et 29 à 56 $ pour l'énergie éolienne ». C’était en 2019, mais la tendance reste la même. Il faut ajouter à ces coûts celui du réseau de transports et de distribution, pour mettre l’électricité à la disposition des consommateurs, et celui du stockage pour éviter toute défaillance dans le fonctionnement d’un système ouvert aux différentes origines.
Le facteur temps est déterminant pour le succès de la transition. Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, le virage doit être pris très tôt, le retournement des courbes d’émissions de gaz à effet de serre doit intervenir dans les prochaines années. Les experts désignent la décennie en cours comme cruciale. 1930 devient une date clé sur la trajectoire de réduction des émissions, avec ses objectifs intermédiaires à atteindre. Il faut augmenter fortement le potentiel de production d’électricité, pour faire face à une demande accrue et remplacer les centrales nucléaires qui devront fermer. En cas d’échec ou d’insuffisances, le recours aux énergies fossiles restera incontournable, ce qui pourrait compromettre le bon suivi de la trajectoire de référence.
Les EPR annoncés seront longs à construire. L’hypothèse d’une quinzaine d’années est le plus souvent émise, après l’expérience douloureuse de celui de Flamanville, raccordée au réseau en 2024, avec 7 ans de retard et un coût sept fois supérieur à celui prévu. Ils ne pourront apporter leur contribution qu’au milieu des années 2030. Il semble donc raisonnable, pour cette décennie, de maintenir le nucléaire existant autant que leur état le permet, et de booster les énergies renouvelables, les seules dont les capacités peuvent s’accroître rapidement. Celles-ci ne sont pas exemptes de défauts, mais les progrès sont rapides et leur mise en route ne dure que quelques années, sous réserve des procédures qui pourraient les retarder. L’éolien en mer, dans notre pays, a pris un retard considérable. Parfois pour de bonnes raisons, de mises au point des projets ou d’études préalables insuffisantes, mais aussi par suite d’acharnements moins légitimes. Les autres énergies renouvelables connaissent des difficultés comparables, dans une moindre mesure.
Les progrès du secteur sont considérables, et concernent aussi bien la technique des équipements, pour améliorer les rendements, permettre le recyclage (récemment le recyclage des pales d’éoliennes), réduire le recours à des produits sensibles comme les terres rares, maîtriser les impacts, et piloter l’introduction dans les réseaux de l’électricité renouvelable, etc. Des avancées législatives et réglementaires favorisent l’autoconsommation et la mobilisation des finances locales. Il reste encore bien des améliorations à apporter, mais il serait dangereux d’attendre la perfection pour accélérer le rythme du développement des énergies renouvelables. Le facteur temps en est la première raison, tout retard se paie cash en termes de climat, et aussi parce que c’est en marchant qu’on apprend à marcher : la pratique est riche d’enseignements, et permet d’orienter la recherche.
L’autre volet de la lutte contre l’effet de serre est la maîtrise des consommations. Là encore, le facteur temps compte, et les inerties représentent un véritable obstacle. Le renouvellement du parc automobile s’étalera sur une quinzaine d’années, la rénovation du parc immobilier prendra le double. Sans attendre que ces transitions soient effectives, c’est sur le fonctionnement qu’il faut porter l’effort.
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