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Le dictionnaire du développement durable pour tous | dominique bidou dbdd

Des formules choc, pour empêcher de penser

Il y a des formules qui sonnent bien, qui entrent aisément dans notre imaginaire, et qui semblent frappées au coin du bon sens, mais qui, au fond, empêchent de penser. De fausses évidences, qui sont assénées pour clore un débat, et de ce fait bloquent toute possibilité d’échanges sereins et constructifs.

« Travailler plus pour gagner plus » en est un bel exemple. Une formule forte, qui fait mouche, et qui suggère que le seul but du travail est de consommer plus. Comme éloge du travail, il y a mieux. Le travail remplit bien d’autres fonctions. Sa rémunération en est une parmi d’autres, importante, certes, mais les autres le sont tout autant, comme l’utilité de ce que le travail produit, le service qu’il rend à la société. Une autre formule aurait englobé toutes ses dimensions, « travailler mieux pour vivre mieux ».
Aujourd’hui, le fond de décor des réformes des retraites, le discours officiel nous dit qu’il faut travailler plus longtemps pour produire plus de richesses. Une formule qui semble incontournable en première analyse, mais qui contient une erreur manifeste et une impasse lourde de conséquences.

Nous le voyons bien dans la durée : nous produisons bien plus que nos parents et nos grands-parents, et pourtant nous travaillons bien moins. Le contraire de ce qui nous est affirmé. Il y a sans doute un lien entre le volume de travail et celui de la production, mais il y a bien aussi d’autres paramètres à prendre en compte, et de plus importants. Nous pouvons être plus productifs, sans avoir à travailler plus pour autant. La qualité du management, par exemple, est un facteur clé. L’observatoire de l’immatériel  décrit tous ces facteurs dont les comptes, publics ou d’entreprise, ne rendent pas compte. Le temps de travail n’est qu’un élément parmi bien d’autres, comme la motivation du personnel, la nature des liens entre l’entreprise et ses clients, ses fournisseurs, ou encore le capital humain, « c’est-à-dire des savoir-faire et savoir-être des hommes, de leur créativité ». La qualité de vie au travail est un paramètre bien connu, avec ses côtés matériels et immatériels. Les lieux de travail agréables, bien éclairés, la bonne qualité de l’air, une bonne température hiver comme été, une bonne ambiance sonore, etc. entraînent une meilleure productivité que dans les endroits où ces qualités sont négligées. Un écart de 15 % n’est pas rare. Le volet immatériel concerne les relations internes au personnel, le mode de management, le sens du travail, la manière dont chacun peut exercer ses responsabilités, innover, se sentir porté par le groupe social, etc.

Associer sans précaution augmentation de la production de richesses et volume de travail est une formule trompeuse. L’inverse se produit d’ailleurs assez souvent. La pression sur le personnel est telle, pour faire face à la demande immédiate, que la formation est négligée, ce qui hypothèque en partie la productivité de demain. Sans parler du burn-out.

La formule fait également l’impasse sur une question déterminante : quelles richesses faut-il produire ? La « finitude du monde », dont nous prenons conscience progressivement, nous dit que les richesses matérielles sont limitées. Le plus recherché à l’infini est une impasse. La manière dont nos richesses immatérielles se créent n’est pas la même que celle à l’œuvre pour les richesses matérielles, minières, manufacturières. La science et la technologie, le savoir-faire, peuvent nous aider à produire des richesses matérielles en maîtrisant les prélèvements de ressources. Le nerf de la guerre est bien l’augmentation du capital humain et de nos connaissances. Les richesses immatérielles sont la clé de la croissance de demain. Une orientation qui n’apparaît guère dans la formule axée sur le temps de travail, comme au bon vieux temps.
Le développement durable est la recherche de nouveaux modes de développement, il exige un effort d’imagination. Il faut nous habituer à penser autrement qu’au temps où nous pensions que la planète était infinie. Les formules trompeuses, les slogans simplistes, peuvent provoquer le débat, mais un débat mal posé, et de ce fait stérile. Ce sont des machines à empêcher de penser, de penser autrement. Des freins au changement.



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