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Le dictionnaire du développement durable pour tous | dominique bidou dbdd

Le coût et la valeur

Nous pensions que la crise sanitaire avait suffi. Eh bien non, les pouvoirs publics n’ont pas compris que la santé a une valeur en soi. Ils ne voient que le coût, et le « quoi qu’il en coûte ». Les désordres consécutifs à un défaut de santé, la pandémie, sont nombreux, de nature variée, et ils pèsent lourd dans les budgets des ménages, de la sécurité sociale, de l’État et des entreprises. Coût direct financier en frais médicaux, subventions et autres interventions publiques, coût économique dû à la désorganisation provoquée par la COVID-19, coût affectif, en douleur et en disparitions prématurées. La bonne santé de la population ne l’aurait pas exonérée, mais aurait sûrement réduit la facture. Elle l’aurait aussi fait pour des maladies récurrentes comme la grippe et la bronchiolite. La bonne santé permet aussi à une société d’être plus performante, plus productive, plus créative, et de se sentir plus forte pour affronter les défis tels que le vieillissement, le dérèglement climatique, les conflits armés, etc. Il va falloir sortir de notre zone de confort pour engager tous les changements nécessaires, et avoir confiance en soi. La santé n’a pas de prix, dit-on, mais elle a une valeur inestimable. Ne considérer que les dépenses de santé relève d’un grave défaut de la vue.

C’est sans doute le fruit de la position dominante de nos financiers, ceux de l’État et les autres, comme les banquiers, les assureurs, les comptables. La dictature du nombre, pour reprendre une expression chère à Alain Supiot. La politique de réduction des coûts – les « cost killers » sont partout – conduit à des situations insupportables. Les médecins, généralistes notamment, défilent aujourd’hui dans les rues. Ils protestent contre la faiblesse de leur rémunération. Le numerus clausus avait été créé en 1971 pour réduire le nombre de médecins et obtenir ainsi une baisse des dépenses médicales. Le résultat, 50 ans après, n’est pas glorieux : pénuries de spécialistes comme de généralistes, déserts médicaux, hôpitaux en crise. Et les dépenses de santé toujours en hausse. Environ 5% du PIB en 1971, 9% aujourd’hui. Il y a bien sûr beaucoup de raisons à cette augmentation, mais l’approche comptable n’y est pas pour rien.

L’analyse n’est pas réservée à la santé. L’éducation et l’environnement sont deux autres domaines où la notion de valeur semble oubliée. Le système scolaire représente une part importante de notre budget, et pèse près de 7% du PIB en France. Mais quelle est la valeur d’une société bien éduquée, à un haut niveau de culture générale ? Dans notre comptabilité, la contribution à la richesse nationale des fonctionnaires, et notamment des enseignants, est assimilée à leur salaire. Comme si, pour faire suite aux paragraphes précédents, la valeur de la santé était la somme des salaires des personnels de santé. Approche bien réductrice, qui masque la valeur ajoutée des enseignants comme du monde médical. Rappelons-le, la population de la France est d’environ 1% de la population mondiale. Elle revendique cependant un statut de grande puissance, avec sa force de dissuasion et un siège au conseil de sécurité de l’ONU. Ce n’est pas le nombre qui lui donne cette position, mais d’autres qualités, telles que son histoire, sa culture, sa langue, et le niveau de formation de sa population, son cadre de vie, son système de santé, ses paysages et son patrimoine, sa gastronomie et bien d’autres particularités. Un capital exceptionnel, diversifié, qu’il convient de faire vivre et fructifier. Une valeur qui échappe à la seule logique des nombres, mais qui a besoin de moyens pour se maintenir à un haut niveau, et toujours progresser. Dans de nombreux domaines, rogner sur la maintenance se traduit par une chute de la valeur du capital, qu’il coûte bien plus cher de reconstituer. Réduire la valeur d’un objet à son coût conduit à de mauvaises décisions.

L’accusation est fréquente : l’environnement coûte cher. Que d’exigences pèsent sur les entreprises, les agriculteurs, les industriels ! Tout ça se retrouve dans les prix payés par les consommateurs. Mais combien coûte le non-environnement ? Malgré toutes les réglementations, les pollutions coûtent des centaines de milliards d’euros chaque année. Le problème de l’environnement est qu’il n’est en vedette que quand il y a un problème. Il est ainsi associé à des drames, pollution d’une rivière, usine en feu qui dégage des produits toxiques, extinctions d’espèces et chute des populations de poissons, interdiction ou restrictions de circulation en fonction de la qualité de l’air, et maintenant au réchauffement climatique et ses conséquences, cyclones, canicules, sécheresses, inondations et recul du trait de côte. Mais c’est bien parce que nous avons négligé de prendre l’environnement en compte que surviennent tous ces malheurs. Si nous nous intéressons à l’environnement, c’est parce que c’est notre milieu de vie, notre garde-manger, nos ressources. Une planète en bonne santé, c’est une valeur extraordinaire. La nature produit gratuitement pour les humains l’équivalent de deux à trois fois le PIB mondial. Un capital productif de grande valeur, qu’il nous faut faire prospérer, quoi qu’il en coûte.

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