Médecin
En ce premier mai, permettez-moi tout d’abord de vous renvoyer à la chronique Travail publiée sur ce blog et premier mai 2006, et reprise sous le n°77 dans Coup de shampoing sur le développement durable (Ibis press, 2007). Reprenons ensuite le cours de ce blog avec le mot médecin.
La France manque de médecins. Nous allons les chercher à l’étranger, et des échos dans la presse nous rapportent des situations peu glorieuses, de praticiens à peine reconnus, maintenus dans des statuts précaires, sous-payés par rapport à leurs confrères français, ou plutôt ayant obtenus des diplômes français. Cette chasse aux médecins et autres professions médicales ne semble pas avoir beaucoup d’égards vis-à-vis des pays d’origine, dont on peut penser qu’ils sont eux aussi en situation de pénurie, et où ces praticiens seraient sans doute très utiles. Nous leur offrons malgré des discriminations, des conditions de vie plus attractives que celles qu’ils trouvent dans leur pays. Pourtant, le déficit français en professions médicales n’était pas une fatalité. Il est le fruit d’une politique à courte vue, incapable d’intégrer convenablement le durée, le facteur temps, un des éléments essentiels de toute politique de développement durable.
La pyramide des âges est un outil bien connu pour prévoir l’évolution d’une population. Celle des médecins évolue avec des entrées, qui viennent du système de formation, et les sorties, par départ à la retraite, abandon du métier, décès, ou migration. La régulation se fait essentiellement par le volume des entrées, maîtrisé par les pouvoirs publics qui déterminent le nombre d’étudiants et de diplômes. Une seule contrainte, intégrer l’inertie des phénomènes démographiques. Les mouvements sont lents, et le pilotage doit anticiper largement. L’augmentation ou la réduction du nombre des étudiants est lié à la capacité d’accueil d’externes et d’internes, et ne peut pas se décréter brutalement. A une époque, les pouvoirs publics ont estimé que l’augmentation du nombre de médecins était trop forte, et qu’il fallait réduire les effectifs. Le numérus clausus a été introduit, avec l’objectif de diviser par deux le nombre des étudiants sortant de l’université, au rythme de -10% par an pendant la transition. Bien sûr, les statistiques étaient floues, selon les sources et les modes de décompte des praticiens, mais c’est manifestement l’obsession de la maîtrise des dépenses de santé qui a aveuglé les responsables. La chute des effectifs de médecins en activité, pourtant bien prévisible, a été une mauvaise surprise. Le phénomène est d’autant plus sévère que les lieux d’implantation des cabinets sont défavorisés : Il y a quatre fois plus de médecins à Paris qu’en Seine St Denis. La remontée des effectifs est lente, et ne résout pas le problème des territoires délaissés.
C’est que les jeunes ne s’installent pas n’importe où. Ils se déterminent en fonction de plusieurs critères, tenant aux conditions d’exercice de leur art et à leur cadre de vie personnelle. Il est de bon ton de se lamenter sur les inégalités flagrantes d’accès à la médecine, selon les lieux où l’on habite, la ville ou la campagne profonde, le Nord ou le Sud, etc. C’est baisser les bras un peu vite, et abandonner le champ de bataille sans même essayer de se battre. Le développement durable consiste à écrire un nouvel avenir pour l’humanité, à toutes les échelles, en commençant par le quartier ou le village. Il faut donc chercher sur quels leviers agir pour permettre une autre implantation des jeunes médecins, pour lutter contre une fatalité qui n’en est pas une. Au plan professionnel, il faut favoriser la création de cabinet de groupes, l’appartenance des médecins à des réseaux qui enrichissent l’exercice du métier, et rompent l’isolement qui guette les professions libérales. Le coût de l’installation, des matériels modernes exigés pour la sécurité des patients, demandent souvent une aide spécifique. Les villes, et les communes rurales habilement regroupées, disposent de moyens pour accompagner l’installation des jeunes médecins dans de bonnes conditions, mais ça ne suffit pas. C’est dès l’université qu’il faut agir pour préparer des futurs praticiens à un exercice de leur profession dans des conditions différentes de celles auxquelles ils pensent a priori. C’est un travail à engager en amont, et en profondeur. Curieusement, l’exemple nous vient d’Amérique, un pays où la médecine est souvent présentée comme sélective, voire commerciale, et animée plutôt selon des modèles économiques que des objectifs sociaux. Plusieurs facultés ont monté des programmes spécifiques pour identifier les jeunes motivés par une installation dans des territoires déshérités, pour les former et les préparer à y vivre et exercer leur métier. Les Etats-Unis sont en première ligne, comme le Canada ou encore l'Australie, trois pays confrontés très vite au problème des grands espaces et de l'accès aux soins. Et donc à une pénurie et une disparité flagrante beaucoup plus tôt que les pays européens. Allons au bout du raisonnement : ce constat de manque de médecins, notion toute relative, est l'occasion d’adapter à notre époque les modes d'exercice, et cela dés la fac. C’est la vertu des crises, d’aider de passer aux actes alors que les données du problème étaient sur la table depuis toujours.
L’analyse de la population des médecins, de leur nombre, de leur répartition par type de médecine, générale ou spécialisée, de leur implantation géographique, est instructive. Elle illustre les difficultés d’anticipation, et le risque d’aveuglement que produit une obsession, même légitime, comme la maîtrise de certaines dépenses. Elle montre aussi le rôle de la volonté que certains appellent politique, et qui doit être partagée par des acteurs d’origines parfois très différentes, comme des élus ruraux et des professeurs de médecine. Le monde que le développement durable produira n’existe pas, il faut le construire collectivement et il demande pour cela une écoute plus attentive des besoins exprimés, une imagination dans le choix des moyens mis en œuvre, une capacité d’anticipation et une sérénité pour intégrer les exigences d’aujourd’hui sans compromettre l’avenir… Tiens ? Cette histoire de médecins me renvoie à la définition officielle du développement durable !
Merci à Edouard Bidou de ses nombreux apports, notamment tirés de sa thèse de médecine en santé publique.
Chronique publiée le 1er mai 2008
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