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Progrès et Innovation

Tribut

Un fort courant de pensée souhaite que l’on exploite les gaz de schistes pour relancer l’économie. L’effet de serre qui en résulterait inévitablement est un exemple frappant du tribut que nous paierions pour retrouver la croissance.

 

gaz-shisteLes avancées techniques se payent parfois lourdement. Il y a bien sûr les conditions de production, comme les catastrophes minières ou les maladies professionnelles qui font encore bien des victimes. Mais il y a aussi les conséquences de l’utilisation de ces nouveautés. Nous payons là aussi un lourd tribut en termes de vies humaines, de santé et d’environnement.


Un des exemples les plus frappants dans notre histoire « moderne », est l’automobile. Combien de morts sur les routes, en France et dans le monde ? Nous avons dépassé les 16 000 chez nous, au pic de cette mortalité dans les premières années 1970, et il a fallu beaucoup d’efforts et de détermination politique, et peut-être aussi de crise pétrolière, pour faire baisser ce chiffre. Les accidents de la route affectent en outre les jeunes, en grande majorité, si bien que, en raisonnant par nombre d’années perdues, on obtient vite des chiffres énormes. Il y a aussi les blessés, qui garderont toute leur vie de séquelles, parfois graves, d’un accident de circulation. Et il n’y a pas que les accidents. La pollution de l’air a été longtemps l’apanage de l’industrie et du chauffage domestique, mais les progrès dans ces domaines ont été ternis par la montée en puissance de la pollution automobile. Aujourd’hui, avec beaucoup de nouvelles technologies, tant sur les moteurs que sur les carburants, les émissions ont baissé, mais combien de personnes affaiblies, notamment de personnes âgées, ont vu leur durée de vie réduite de quelques mois par cette pollution de l’air extérieur ?


La voiture particulière et le camion ont apporté du bien-être et un sentiment de liberté, mais très cher payés. Comment lutter contre un objet si symbolique, si riche de significations sociales ? Il en fallu des années pour retrouver une voiture réduite à sa fonction, la mobilité, et non aux fantasmes et aux rêves que les fabricants  d’automobiles ont su créer.  Il devient alors possible d’avoir le beurre et l’argent du beurre, la mobilité sans ce lourd tribut. Une mobilité intelligente où l’automobile  a toute sa place mais rien que sa place, à côté des circulations douces et du transport en commun.


Aujourd’hui, le risque est grand de payer un tribut, espérons moins lourd, aux nouvelles formes de communication. Il s’agit des ondes de toutes natures dont nous sommes entourés. Le débat est posé avec les téléphones portables, mais il n’y a pas que lui. La généralisation du Wifi, dans les espaces publics comme dans les logements et les locaux professionnels, crée un nouvel univers, que nos sens ne perçoivent pas dans la majorité des cas. Là encore, quel « progrès » et quel succès ! La vitesse de propagation de ces instruments est phénoménale, et c’est toute la planète qui est touchée.

L’absence de fil offre une commodité formidable, parfois utilisée à tort et à travers. Sans attendre qu’une mortalité ou qu’une morbidité se développe, comme on l’a vu sur les routes, il doit être possible de lancer tout de suite des mesures équivalentes à celle de la sécurité routière : matériels plus surs, émetteurs et récepteurs, notamment avec des puissances plus faibles, comportements plus raisonnables, équipements de sécurité comme les oreillettes.  La facilité et le faible coût ont conduit nos concitoyens à téléphoner pour un rien. Et plus la peine de prévoir ni de s’organiser, il est possible de s’arranger au dernier moment. Des équipements autre fois réservés aux urgences, et d’utilisation exceptionnelle, se banalisent et deviennent d’usage quasi permanent. Les plus jeunes en sont munis, et ne pourront plus s’en passer.


Comme pour la voiture, la réponse n’est pas de vivre sans téléphone portable ni WIFI. Mais de les limiter à la sphère où ils rendent des services effectifs. En prolongeant le parallèle, sans autre justification que d’aider à considérer toutes les hypothèses, l’abandon du tramway face au développement de l’automobile ne trouve-t-il pas son pendant avec le choix trop commode du WIFI, au détriment des technologies filaires ?  Conserver des lignes physiques pour transmettre les informations, fil téléphonique, électrique ou câble optique, pourrait aider à réguler  le passage obligé aux ondes,  à offrir une alternative.


Outre la santé du corps, susceptible d’être atteinte par des excès d’ondes de  toutes natures et de toutes fréquences, il y a celle de l’esprit. Big brother n’est jamais loin, la NSA vient de nous le rappeler. Là aussi, il y a un tribut à payer, peut-on l’éviter, ou le limiter ?


Les tributs à payer pour le « progrès » sont de différentes natures. Le patrimoine collectif, res nullius, est souvent mis à contribution. Pollution des rivières et de la mer, paysages, espèces animales et végétales disparues, et le climat… Au lieu de tribut, on parle parfois de la rançon du progrès, on dit que l’on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. On a rarement évalué le montant des pertes, tandis que le progrès se traduit par des chiffres d’affaires et du PIB. Le coût du réchauffement climatique a cependant été évalué par Nicholas Stern et différents experts de l’ONU : au minimum 5% du PIB mondial. Une comptabilité plus complète orienterait autrement ce fameux progrès. Le développement durable est une recherche d’efficacité. Un progrès sans  terre brulée, sans sacrifice, sans rançon, sans tribut.

Chronique mise en ligne le 30 décembre 2013

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