Protéger
Parmi les émotions qui gouvernent le monde, selon Dominique Moïsi, la peur s'est répandue particulièrement dans le monde occidental. D'où un besoin de protection, qui fait peut-être autant de mal que la peur, du point de vue du développement durable.
Il est de bon ton, notamment dans les campagnes électorales, de proposer aux Français une forme de protection.
Protectionnisme pur et dur pour certains, mais le plus souvent une protection contre les agressions venant de la mondialisation et de la dureté des temps. Le gouvernement doit protéger les Français, et à une autre échelle, l'Europe doit être une protection contre la mondialisation.
Nous sommes loin de l'esprit d'entreprise nécessaire pour entrer dans une nouvelle époque, celle du développement durable. Le développement durable est une prise de risques puisque c’est l’exploration d'un monde nouveau, le nôtre au XXIe siècle, un monde dont les ressources sont limitées et où les droits humains sont reconnus et respectés. La situation du XXIe siècle n'est pas celle du XXe prolongé, même s'il y a évidemment un héritage qu'il faut assumer.
S'il y a une protection à mettre en place, c'est bien celle du faible face aux excès que les puissants pourraient leur faire subir. Mais pas une protection passive, qui devrait être maintenue éternellement, mais une protection dynamique qui permet aux faibles de retrouver un équilibre et une place à part entière dans la société ou dans le concert des nations.
Le protecteur devient vite parrain, celui qui défend vos intérêts, mais à quel prix ? Protection et racket sont indissolublement liés, le protecteur trouvant sur le protégé un pouvoir sans limites. Comment en est-on arrivé à ce point, que la protection puisse être présentée comme un atout électoral, si ce n'est en référence à une sorte de clientélisme, marque des sociétés figées et sans projet.
La fragilité, qui appelle la protection, est le résultat de la mauvaise adaptation au contexte. La crainte du changement provoque souvent des Retards face à l'évolution du monde. Pendant des siècles cette évolution était lente, malgré quelques périodes d'accélération comme l'émergence de l'imprimerie ou la révolution industrielle. Elle a malgré tout été fatale à certaines sociétés, qui n'ont pas vu que la Terre se dérobait sous leurs pieds et se sont montrées incapables de s'adapter. Le célèbre Ouvrage de Jared Diamond, Effondrement(1), nous relate abondamment l'histoire de ces civilisations qui se sont laissé surprendre.
Aujourd'hui la situation est différente. C'est à l'échelle de la planète que l'équation Population/Consommation/capacité productive se pose. Et les choses vont très vite. Même si l’on prévoit une stabilisation de la population mondiale dans les années 2050, celle-ci se sera multipliée par deux en moins de 50 ans, par 4 au cours du dernier siècle. La consommation par tête a explosé et renforce le volume des nouveaux besoins. Pour ne prendre qu'un exemple, la population chinoise n'augmente que d'un demi-point par an, alors que sa consommation croît de 10 Points. Le mode de vie accentue la pression bien plus fortement que la croissance démographique, mais celle-ci lui apporte une inertie extraordinaire : même si la consommation moyenne par tête de terrien se stabilisait aujourd'hui, nos besoins globaux continueraient d'augmenter d'un tiers d'ici le milieu du siècle. Parallèlement à cette hausse des besoins, des capacités productives de la planète sont menacées. Malgré les progrès techniques, la productivité primaire, le bas de la pyramide, dont tout dépend, est affectée par une exploitation anarchique, l'artificialisation des terres et des côtes, et le réchauffement climatique.
Le constat est donc clair, il faut changer d'orientations et trouver de nouveaux modes de développement qui, au lieu de nous conduire dans l'impasse, ouvriraient nouvelles perspectives. Le terme de protection, si souvent employé, pourrait être aisément associé à l'impasse. Bien sûr, si nous nous y retrouvons, nous ressentirons tous un besoin de protection. Mais l'objet du politique est justement de faire en sorte que nous nous y retrouvions pas prisonniers. La vraie protection est la recherche de ce nouveau mode de vie, de production et de consommation, de cette nouvelle attitude face à la nature et aux ressources qu’elle nous procure, qui permettraient de résoudre durablement l'équation évoquée ci-dessus. C'est ce que l'on appelle le développement durable.
Cette recherche et la nécessaire transition entre la situation actuelle et le futur que nous espérons affaibliront la situation de certains, auxquels il faudra bien sûr accorder une protection. Il s'agit alors d'une forme de solidarité pour permettre à chacun d'entrer dans l'ère du développement durable. Des ajustements seront parfois douloureux, des secteurs que l'on croyait être des valeurs sures devront se reconvertir. La tentation sera forte d'offrir une protection aux victimes de ces transformations, et de s'en satisfaire. Ce serait un gâchis si, préalablement, le maximum n'a pas été tenté pour recycler les savoirs et les Talent s des personnes engagées dans ces activités. Les ressources dont nous avons besoin ne sont pas que matérielles, elles sont aussi humaines et sociales.
La protection n'est donc qu’une mesure complémentaire à toutes celles qu'il aurait fallu prendre pour assurer la transition vers un mode de vie durable, un filet tendu dans lequel il vaudrait mieux éviter de tomber. Ou alors, parlons de la couche d'ozone qui nous protège de certains rayonnements dangereux pour la santé. S'il y a une urgence dans le monde de la protection, c'est bien par là qu'il faut la chercher.
1 - Gallimard, 2006
Chronique mise en ligne le 7 mai 2012
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