Doute
Le succès des semeurs de doute sur le réchauffement climatique provoque souvent l'indignation des promoteurs du développement durable. Il devrait aussi les conduire à s'interroger sur leur propre discours, et la manière dont ils présentent l'avenir.
Comme la langue d’Esope, le doute est la meilleure et la pire des choses.
La meilleure, qui conduit à la prudence, et à la modestie. Le doute comme exigence d’approfondissement, de recherche de connaissances nouvelles, pour mieux comprendre. Mais aussi le doute qui ronge les esprits, qui s’insinue et empêche l’action. Le doute ennemi de la confiance, le doute qui sape les fondements d’une société.
Le premier est salvateur, il oblige à se remettre sans cesse en question. Quand il faut trouver un nouveau modèle de développement, il est bon de faire le ménage dans ses certitudes, se libérer des vieux schémas, de prendre de la distance par rapport aux modèles qui ont façonné nos cerveaux. Il nous amène à chercher des procédures pour avancer dans l’incertitude, à cheminer dans le brouillard, à réduire les risques de la nécessaire exploration de terres inconnues. Le principe de précaution est directement issu de cette approche du doute, il fixe des règles à respecter pour avancer tout en s’interdisant des risques inacceptables. La forte exigence d’innovation que comporte le développement durable entraîne naturellement une prise de risque, et il faut savoir jusqu’où il est possible d’aller. La dérive bien connue, et qui est le meilleur argument contre le principe de précaution, en est la généralisation abusive. Ce dévoiement manifeste, qui consiste à agiter le principe de précaution au moindre risque, avec en fond de décor le risque Zéro, serait un principe de paralysie, qu’il faut assurément combattre. Il faut réserver le principe de précaution aux risques graves et irréversibles. La diffusion dans la nature de produits ou de formes de vie qu’il serait impossible de retirer ensuite s’ils s’avèrent dangereux justifie le recours au principe de précaution. L’interruption des transports scolaires pour cause de verglas relève d’une autre logique, celle de la prudence tout simplement. Ces abus sont hélas très fréquents, contribuent à discréditer un principe, et surtout à le faire passer pour ce qu’il ne doit pas être, un principe de retrait et de non action, alors qu’il s’agit bien au contraire d’un cadre pour la prise de risque raisonnée.
Le doute est aussi un instrument de pouvoir et de lutte. C’est souvent son mauvais côté qui se manifeste ainsi. Les marchands de tabac, par exemple, en ont longtemps usé et abusé, en le distillant habilement. L’objectif est de jeter le trouble dans l’opinion. A défaut de montrer l’innocuité de son produit, ce qui serait impossible, le but est de pointer des inexactitudes ou des maladresses dans les travaux des accusateurs. Bien sûr, il y en a toujours, nul n’est parfait, et il est toujours possible, en cherchant un peu, de trouver des erreurs d’analyse, des fautes de calcul, des interprétations légères, sur lesquelles mettre le projecteur. Une lumière qui aveugle, et masque la grande masse des travaux confirmés. Le doute est réveillé, un peu comme la calomnie, il en restera toujours quelques chose.
Ce doute est bien utile pour tous ceux qui ne veulent pas le changement. Le développement durable perturbe, et provoque des inquiétudes légitimes. A trop les négliger, on laisse le champ libre, voire on le leur prépare, aux jeteurs de doutes. On nous présente souvent une vision du développement durable trop ascétique, culpabilisante, acceptée du bout des lèvres par de larges pans de la société, comme politiquement correcte, mais rejetée au fond du cœur. Quelle joie de trouver tout d’un coup, divine surprise, une voix qui s’élève et me laisse penser que je peux échapper au châtiment. Le succès du doute est à la mesure du ressentiment contre cette vision catastrophiste du développement durable. Il devrait interpeller ses zélateurs, qui pourrait avoir des doutes sur leur manière de communiquer leur message, de faire partager leurs convictions. Mais les défenseurs d’une bonne cause ne sont pas sujets au doute. Ils ont la foi, celle du charbonnier le plus souvent, et préfèrent jeter l’anathème sur ceux qui exploitent leurs maladresses, plutôt que se remettre en question.
Ce que certains appelle le négationnisme sur le changement climatique, avec une charge affective bien dangereuse, et le succès des quelques voix dissonantes sur le climat, sont à analyser dans ce contexte. Le développement durable est un Espoir, une voie d'avenir, et non un châtiment pour nos fautes passées. Le levier de la peur et de l’expiation sont contreproductifs, et offrent aux détracteurs du développement durable, tous ceux qui voudraient que rien ne change, une formidable tribune. Oui, il faut combattre les discours pervers qui sèment le trouble et freinent la nécessaire transformation de nos sociétés, mais ce sera cause perdue si leur succès ne jette pas aussi le doute sur certaines pratiques militantes, certains discours enflammés, qui inscrivent le développement durable dans un univers sacré, avec forcément des dogmes et un catéchisme, bien opposé aux principes de l’exploration de nouveaux futurs.
Chronique mise en ligne le 6 avril 2010
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