Malheur
Le malheur n’est pas le contraire du bonheur, mais l’éviter est une manière de progresser, et en premier lieu le malheur qu’on se donne soi-même pour un tas de bonnes raisons.
Le malheur vient parfois d’évènements extérieurs, accident, crise, maladie, mais il provient aussi, et c’est vraiment dommage, de nous-mêmes et nos errements. « Faites vous-mêmes votre malheur » pourrait-on dire. Le développement durable est une quête de bonheur, un bonheur partagé qui cultive et enrichit la planète. Rappelez-vous, facteur 4, « deux fois plus de bien-être en consommant deux fois moins de ressources ». Nous ne pourrons y parvenir sans prendre garde à ne pas se donner du malheur, par maladresse, ignorance, préjugés ou tout simplement par inertie.
Prenons l’exemple du chômage, du coût du travail et de sa place dans la société. Un débat récurrent dont les prémisses sont issues d’une autre époque. Les cotisations sociales et les avantages qui vont avec ont beaucoup évolué dans le temps, mais c’est en 1945 que l’ère « moderne » a commencé sur ce sujet. A l’époque, un consensus s’était formé sur l’idée de faire porter par l’emploi les recettes des fonds sociaux, maladie, retraite, chômage, enfance, etc. Le travail ne manquait pas, et il était considéré comme la source de toutes les richesses. Il était donc normal de fonder les cotisations sur les salaires, et cette approche a perduré, avec quelques coup de canif cependant comme la CSG et la CRDS, calculée sur l’ensemble des revenus. C’est tout récemment que l’on s’interroge sur le bienfondé de cette logique qui veut, par exemple, que la politique familiale soit financée par l’emploi et non par un prélèvement fiscal « ordinaire », par le simple relais du budget de l’Etat. Et pourquoi fait-on peser les recettes de la sécurité sociale sur le seul emploi ? Et le chômage ? Les intéressés ont parfois une part de responsabilité, mais qui est responsable de la crise qui provoque 10% de chômage, si ce n’est la communauté nationale dans son ensemble, par les choix politiques et économiques qu’elle a fait ? Affecter toutes les charges sociales à l’emploi est une source de malheur, et le travail mérite mieux que ça. Ajoutons que les grands discours sur la « valeur travail » sont contredits en permanence par la vision de l’entreprise. Hier, ensemble de moyens humains et capitalistiques pour produire des biens et des services, celle-ci est de plus en plus assimilée à ses actionnaires, avec pour objectif de maximiser leurs profits. Dérive évidente qui contribue à notre malheur, en réduisant le travail à un rôle accessoire.
La mondialisation prend de nombreuses formes, et provoque des réactions variées, depuis l’adhésion enthousiaste jusqu’au repli frileux. Elle est souvent accompagnée, dans les esprits tout du moins, d’un sentiment d’uniformisation. Les mêmes produits partout, pour des économies d’échelles et la constitution d’immenses marchés, supposés propices à notre bonheur. Les citoyens du monde sont les premiers partisans de la mondialisation, mais pourquoi celle-ci doit-elle se faire au détriment de la diversité ? C’est tout au contraire l’accès à la diversité qui fait l’intérêt de la mondialisation. C’est comme l’Europe. Un grand marché est une aubaine, s’il ouvre le choix qui nous est offert pour nos consommations et nos aspirations, mais il contribue à notre malheur s’il nous enferme dans un mode de vie régularisé. Les 400 fromages, voici l’apport type de la France à l’Europe, pour le bonheur des français et des européens !
Autre choix qui fait notre malheur, en politique cette fois-ci. Le scrutin majoritaire, supposé assurer la stabilité et faciliter ainsi les prises de décision. Comme si 51% des français (et souvent moins compte-tenu des abstentions et des nombreux non-inscrits sur les listes électorales) pouvait imposer leur point de vue aux 49% restants, lesquels sont catalogués « opposition ». La résistance s’organise vite, de nombreux relais sociaux ou professionnels sont mobilisés, et les réformes annoncées sont abandonnées ou édulcorées. La France est qualifiée de rétive à toute réforme sérieuse. Pas étonnant avec un système qui organise la confrontation, au lieu de favoriser les rapprochements et la recherche d’un consensus. Le système majoritaire de produit pas de culture du dialogue. L’immobilisme qui en résulte est source de toutes sortes de dangers, mécontentements intérieurs et déception face aux promesses non tenues, stagnation et prise de retard par rapport à nos partenaires et concurrents, absence de perspective pour la jeunesse, et bien d’autres malheurs que vous saurez ajouter à cette liste.
Terminons ce panorama des malheurs que nous nous donnons avec la place du secteur public. Il est trop gros chez nous, et ça nous fait du tort. Nos performances économiques en pâtissent. Un tel jugement, trop entendu, est bien rapide, alors que les faits ne le confirment guère. Les délégations de services publics et les services en régie ne manifestent pas d’écarts significatifs dans leurs résultats, et il semble bien que ce ne soit pas le statut qui soit l’explication des différences observées. De manière plus globale, les dépenses de santé par habitant sont deux fois plus importantes aux Etats-Unis, avec un régime essentiellement privé, qu’en France avec la sécurité sociale. Même si des abus ont pu être relevés ici ou là, un dispositif public et universel s’avère plus efficace qu’un système libéral. Le choix entre public et privé ne peut être fait une fois pour toutes, c’est une affaire de domaine concerné, de contexte, de culture, et d’hommes. Il est vrai qu’une si grosse machine que l’Etat recèle surement de nombreux angles morts où la cocotte en papier est reine. Faire la chasse à ces abus est évidemment de bonne gestion, mais en déduire qu’il y a trop de fonctionnaires par principe est une source potentielle de malheurs.
Le pragmatisme s’impose dans ces domaines, gare au dogmatisme. Pour ne pas faire soi-même son malheur…
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