Barrage
Les barrages font débat, et le drame récent du barrage de Sivens le rappelle amèrement. Le concept même de barrage, dont on parle souvent pour l’eau, est décliné dans bien d’autres domaines. Est-ce durable ?
L’actualité du barrage de Sivens et les rapports des experts sur le projet montre que des erreurs sont vite arrivées dans ce domaine.
Quelle que soit leur taille, les barrages bouleversent des équilibres naturels. Les plus petits, associés à une turbine, ce que l’on appelle la petite hydraulicité, doivent réserver un débit minimum et des passes à poissons pour ne pas tuer la rivière. Les plus gros sont souvent dénoncés pour leurs impacts sur l’environnement. Les sédiments qui s’accumulent dans le lac Nasser, en amont du barrage d’Assouan en Egypte manquent en aval, où ils enrichissaient les terres en aval et la mer au large du delta du Nil. Plus récemment, le barrage des 3 gorges, sur le Yangtsé, en Chine, est accusé de nombreuses dégradations de l’environnement, comme la transformation de la faune marine et la pullulation des méduses dans la baie du Yangtsé.
Les barrages sont de nature diverses, correspondant à des besoins différents. Ici, il s’agit de produire de l’électricité. Là, ce sera pour protéger des secteurs menacés par des inondations. Plus loin, ce sera pour se constituer des réserves en eau, en prévision des périodes de sècheresse. Plus loin encore, ce sera pour créer un plan d’eau, pour les loisirs. Souvent, plusieurs de ces objectifs sont associés. Il y a toujours une bonne raison, mais il y a aussi toujours des dégâts immédiats et des risques dans la durée, sans parler des frais nécessaires pour maintenir les ouvrages en bon état. C’est à chaque fois un cas d’espèce. Il n’est pas possible d’édicter une règle universelle, mais il est toujours intéressant de voir si on peut se passer d’un équipement perturbateur. De l’eau pour l’agriculture, oui s’il y en a « naturellement », mais faut-il à tout prix développer des cultures gourmandes en eau là où il en manque ? N’y a-t-il pas d’autres « modèles économiques », mettant l’accent sur la qualité plutôt que sur la quantité, là où l’eau est rare ou irrégulière ? Attention à la solution « barrage » retenue a priori, qui permet de s’affranchir de la recherche de solutions inspirées par le « génie du lieu ».
Il faut revenir à la question initiale du devenir d’un territoire, de ses vertus, de son potentiel et de la manière de le valoriser, plutôt que d’y plaquer des modèles inadaptés aux conditions locales. Quelles qu’en soient les fonctions attendues, les barrages sont souvent des miroirs aux alouettes, ils créent des attentes souvent déraisonnables. Sans exclure la réponse « barrage », dont l’intérêt peut se révéler déterminant, elle ne peut devenir la règle, la solution de référence. Il n’y a qu’à voir, en France et dans de nombreux pays, le nombre de barrages abandonnés pour se convaincre qu’il y a souvent d’autres voies de développement.
Il n’y a pas que l’eau qui suscite des barrages. Il en existe de multiples versions, adaptées à des problèmes très différents. Des barrages sont érigés pour faire face à des phénomènes réputés indésirables. Il s’agit parfois de murs physiques, pour empêcher ou maîtriser des mouvements de population.
Le choix du barrage est souvent une manière de lutter contre l’inéluctable. Une sorte de fuite en avant, pour retarder une échéance. Pourquoi pas, s’il s’agit de s’adapter, de se préparer à un nouveau contexte, mais il est à craindre que ce soit juste pour gagner du temps en espérant que, comme dans les westerns, la cavalerie arrivera pour résoudre définitivement le problème. En matière d’eau, les Pays bas, champions des polders, sont revenus sur cette politique traditionnelle et acceptent, face à la montée des eaux, de noyer des territoires autrefois conquis de haute lutte. Accepter et gérer un phénomène, anticiper, est parfois plus judicieux que de s’engager dans une lutte sans fin, et perdue d’avance.
Les mouvements de population sont devenus chose courante, dans le monde d’aujourd’hui. Les raisons en sont multiples, déséquilibres économiques, diffusion de modèles par la télévision, crises locales, alimentaires ou politiques, etc. La stabilisation de la population mondiale, qui devrait avoir lieu d’ici 2050 environ, souhaitable à bien des égards, provoque une mutation démographique à l’échelle de la planète, à laquelle il faut se préparer. Les barrages de toutes nature ne pourront rien face à cette montée des eaux humaines, et il vaut mieux s’interroger sur la manière de gérer cet afflux. Bien sûr comment le réduire à la source, mais aussi comment tirer un bénéfice partagé de la diversité qui en résultera, comment organiser un flux en retour, comment préserver et faire prospérer des valeurs de référence, comment faire évoluer nos institutions pour une cohabitation harmonieuse au sein de « villes monde » et « d’Etats monde ». Les règles du jeu élaborées pour un pays aux populations stables et bien définies ne tiendront pas dans ce nouveau contexte. Abandonnons l’idée du barrage, qui sera submergé inévitablement, pour d’autres politiques, plus réalistes, plus volontaires, et plus créatives.
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