Mètre
A l’école, nous apprenons que le mètre, c’est du sérieux. Un étalon est siège fièrement au pavillon de Breteuil, à Sèvres. Constitué de platine iridié, il est maintenu à 0°. Nul doute qu’une armée de laborantins n’en prennent son comme de la prunelle de leurs yeux. Même pour les choses simples, comme la longueur d’une ligne droite, les choses ne sont pas si simples. D’ailleurs, le mètre étalon était trop simple. Le dix millionième partie du quart du méridien terrestre est assurément chose triviale, et la communauté scientifique lui préfère la distance parcourue dans le vide par la lumière pendant 1/299 792 458e de seconde, après une période où l’on avait retenu 1650763,73 fois la longueur d’onde dans le vide de la radiation correspondant à la transition entre les niveaux 2p10 et 5d5 de l’atome Krypton 86. Elémentaire, mon cher Watson !
Et le développement durable, là-dedans ? On y vient.
Les mésaventures du mètre étalon montrent à quel point il est difficile de mesurer avec précision, et constance dans le temps et l’espace. Et il ne s’agit que d’évaluer des quantités matérielles. Progressivement, la plupart des nations ont adoptées le système métrique, malgré quelques poches de résistance non encore réduites. Dès que les phénomènes observés quittent le champ du linéaire, tout devient très compliqué. Allez donc additionner des températures ou des décibels, vous verrez comme c’est simple à comprendre et à faire comprendre. La mesure, point de départ de l’évaluation, est une affaire complexe. Rien d’étonnant, car il s’agit de décrire des phénomènes qui sont eux aussi complexes, mais notre recherche permanente de simplification en est frustrée. Il faut savoir dépasser cette difficulté, car la mesure permet les échanges, et il serait dommage de réduire ceux-ci aux choses élémentaires. Pour échanger sur les choses plus complexes, on a aussi recours à une forme plus sophistiquée de mesure, la normalisation.
Le développement durable a besoin d’instruments pour mesurer, comparer les choses entre elles, ou la même chose à plusieurs moments, etc. Il faut un système stable, fiable. C’est déjà compliqué pour les choses qui se mesurent avec des chiffres, qui se comptent, les biens matériels élémentaires, mais que dire des biens composites et surtout de la qualité, sans laquelle il n’est point de développement durable. Comment la mesurer convenablement ?
Les termes plus et moins s’appliquent dans des univers linéaires, à une seule dimension, qui permet de comparer sans ambigüité. Quand il s’agit de faire évoluer un système, aux nombreuses dimensions, elles-mêmes connectées, l’affaire se complique. Pour la planète, on a cherché des indices synthétiques, comme l’empreinte écologique ou le happy planet index (HPI), mais leur valeur est surtout pédagogique. Les approches purement financières, comme le PIB sont régulièrement critiquées, à juste titre, du fait de leur caractère réducteur, avec l’argent comme dénominateur commun, et un oubli quasi général des données non monétaires, en particulier les prélèvements de ressources et la dégradation du milieu. Le PIB ne s’intéresse qu’aux flux d’argent, pas à la richesse produite réellement déduction faite des coûts sociaux et environnementaux. Le développement durable nous conduit à dépasser cette vision linéaire, à entrer dans la complexité de la vie, et bien sûr à y mesurer les progrès accomplis.
On voit bien toutes les limites d’une expression comme « travailler plus pour gagner plus », qui ne fonctionne convenablement que dans un univers à une seule dimension. Dans un système de production et de consommation, il n’est pas sûr que produire plus ici n’entraîne pas de dégradation ailleurs. On en parle souvent avec l’introduction de nouveaux commerces, qui peuvent prendre la place d’autres sans au total créer plus de richesse. On sait bien, également, que le travail intensif de certains agriculteurs détruit des richesses et des revenus autour de leur exploitation. Les algues vertes de Bretagne sont là pour en témoigner, avec leurs conséquences désastreuses sur le tourisme et la conchyliculture. La mise en culture des marais demande du travail mais condamne des activités en aval. La bonne référence n’est pas au travail, avec en fond de décor le sapeur Camembert qui creuse des trous pour en combler d’autres. C’est la richesse créée, et plus exactement la richesse nette, après déduction des richesses détruites dans le processus de production. Créer plus de richesses nettes pour gagner plus, telle est la traduction durable de cette ligne de conduite actuellement à l’honneur. Il faudra alors mesurer cette création de richesses nettes, et nous voilà revenus à notre point de départ : quel mètre retenir pour mesurer le développement durable ?
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