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Impôts, Taxes

Comptes

Il arrive que le ressenti et la réalité divergent, comme le vraisemblable et le vrai. Un constat qui complique singulièrement la gouvernance publique, fondée sur une vision partagée des phénomènes. La perception de la fiscalité environnementale illustre cette difficulté. Faisons les comptes.

« L’environnement, ça suffit », une phrase célèbre qui traduit un sentiment de rejet, tout comme la révolte des bonnets rouges contre l’écotaxe.  Nous en avons assez d’être pris pour des vaches à lait, d’être taxés avec l’environnement comme prétexte. Et pourtant, les taxes environnementales sont en réduction dans notre pays, qui est de surcroît mal classé parmi les pays membres de l’Union Européenne, au 24e rang sur 28 (et bientôt sur 27).

1,8% du PIB en 2012, alors quelles représentaient 2,5% en 1995. 4% de l’ensemble des prélèvements obligatoires, ce n’est pas beaucoup, mais ça suffit pour agacer quelques groupes sociaux. Si l’on se réfère aux animaux malades de la peste, il faut croire que l’environnement serait plus « misérable » que « puissant ». A titre de comparaison et pour fixer les idées, notons que ce taux de 1,8% est deux fois plus élevé aux Pays-Bas et encore plus au Danemark, avec une moyenne européenne de 2,4%. La Suède, a créé une taxe carbone en 1991, dont le montant, en 2016, est de 120€ la tonne de CO2. Elle est entrée dans une dynamique déterminée de fiscalité environnementale, qui lui permet de réduire l’impôt sur le revenu et les cotisations sociales, tout en réduisant de 20% ses émissions de gaz à effet de serre. Nous sommes bien loin de cette configuration !

A défaut de prélever l’argent public pour motif environnemental, ne peut-on avantager ceux qui choisissent d’agir pour l’environnement ? C’est ce que l’on appelle les « dépenses fiscales », les impôts que la puissance publique consent de ne pas prélever pour favoriser telle ou telle pratique. Une TVA réduite, par exemple, c’est de l’argent qui ne rentre pas dans les caisses de l’Etat, et des économies pour les entreprises concernées, et par suite leurs clients. La Cour des comptes s’est penchée sur la question (1). Quelles sont les dépenses fiscales favorables au développement durable, réduit d’ailleurs dans son rapport à la dimension environnementale. Les experts de la Cour ont identifié 94 mesures susceptibles d’avoir des effets sur l’environnement, en bien ou en mal. Les « dépenses fiscales » jouent dans les deux sens, et l’analyse doit considérer les deux volets, pour faire un bilan sérieux. Bien sûr, il n’y a pas d’allégement d’impôt dont l’objectif affiché est de dégrader l’environnement, mais certaines mesures prises pour soutenir un secteur d’activité peuvent avoir des conséquences négatives pour l’environnement : la « relance » peut se faire au détriment de l’environnement, notamment en encourageant des pratiques agressives ou la destruction de milieux naturels.

Le résultat n’est pas celui que l’on attend, du moins si on en croit les pourfendeurs des taxes environnementales. Les dépenses défavorables à l’environnement pèsent plus lourd, dans le budget de l’Etat, que celles qui lui sont favorables. Notons tout de suite que ces mesures fiscales pro-environnement se situent pour l’essentiel (80%), dans le champ de l’énergie, avec deux grands secteurs concernés, le logement et les transports. Les avantages fiscaux dont bénéficie le diesel plombent à eux seuls les dépenses fiscales prises au détriment de l’environnement, plus de 6 milliards d’euros en 2015, presqu’autant que le reste des mesures défavorables, qui représentent 6,9 milliards, et bien plus que les mesures favorables, qui se limitent à 5 milliards. Le match est gagné par les anti environnement avec un score de 13 contre 5. Si l’on met à part le diesel, dont l’avantage devrait se réduire progressivement, les dépenses fiscales défavorables sont en croissance, elles n’étaient que de 6 milliards en 2010, alors que les favorables sont en baisse, elles étaient 6,9 milliards en 2010. Contrairement aux idées reçues, la fiscalité favorise de moins en moins l’environnement. « La comparaison en valeur des dépenses fiscales favorables et défavorables à l’environnement fait apparaître une baisse des dépenses favorables et un maintien de celles défavorables », observe la Cour des comptes. Ce constat rappelle celui de nombreuses organisations internationales, FMI, OCDE, AIE, sur les subventions aux énergies fossiles. De l’ordre de 500 milliards de dollars par an si on se limite aux aides directes, mais pas loin de 4 fois plus si l’on inclut les effets défavorables à l’environnement de la consommation d’énergie, les « externalités », évalués par le FMI à 1 900 milliards de dollars. Plus de 2% du PIB mondial et 8% des recettes des états. Une paille !  Les aides aux renouvelables, aux externalités très faibles, 135 millions d’euros en 2014, sont bien peu par rapport à ces dépenses.

On peut aussi s’interroger sur l’efficacité de ces dépenses fiscales. Pour la France, c’est en partie l’objet du rapport de la Cour des Comptes, avec un accent particulier sur les aides à la rénovation énergétique des logements. Il semble que nous soyons loin du compte, et la Cour suggère notamment que les aides soient plus sélectives, plus précisément orientées sur l’énergie. Une approche bien technocratique, dans le genre « faire boire un âne qui n’a pas soif », car l’approche exclusivement thermique ne répond pas à l’attente des intéressés, les occupants de logement quel que soit leur statut. C’est une amélioration d’ensemble de leur habitat qu’ils souhaitent, et l’argent public (ou les dépenses fiscales) seraient mieux employé à inscrire la lutte contre l’effet de serre dans cette demande sociale qu’à vouloir l’imposer de force. Mais c’est une autre histoire…

1 - « L’évaluation de l’efficience des dépenses fiscales relatives au développement durable » - novembre 2016 Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes

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