Consensus
Archipel, mondes irréconciliables, radicalité, et bien d’autres expressions illustrent la difficulté de trouver un accord pour progresser ensemble dans le monde complexe où nous sommes. Un consensus est-il impossible ?
A moins d’adopter un régime autoritaire, nous avons besoin de consensus pour vivre ensemble, et choisir les orientations souhaitables pour notre avenir. Distinguons toutefois les types de consensus, les mous et les durs. Le mou est celui obtenu par défaut. Personne n’ose dire qu’il n’est pas d’accord. Ce n’est pas par contrainte, mais parce que la posture d’empêcheur de consensus est toujours délicate à assumer, sauf bien sûr pour les provocateurs nés qui s’en délectent. C’est un consensus sans enthousiasme, de résignation, et parfois il est bien utile car l’inaction en est l’alternative. Une inaction qui s’impose et dont les résultats sont souvent bien pires qu’une action décidée faute de mieux, mais décidée quand même. Ne rejetons pas a priori le consensus mou, même s’il reflète parfois un rapport de force, et ne stimule guère ni la créativité, ni l’acceptabilité.
Les consensus mous restent fragiles. Ils explosent facilement aux premiers obstacles, et ils ne perdurent souvent que parce que personne ne trouve d’intérêt à les rompre. Ils sont souvent des solutions d’attente. Certains participants traînent des pieds ou avancent à reculons. C’est un cas courant en politique, où chacun espère améliorer sa situation à la prochaine élection, mais aussi pour les accords professionnels entre entreprises, en attente d’innovations technologiques, et même pour les familles, qui n’échappent pas aux risques de conflits, le consensus mou donnant alors une porte de sortie honorable pour chacun. Il n’y a pas que les motifs d’opposition dans la vie, il faut savoir passer outre.
Le consensus mou a des qualités, il a aussi des limites. Il ne permet guère d’affronter de grands changements, de se lancer dans des aventures nouvelles. La fin de l’ère du carbone, et d’une manière plus générale le « commencement du monde fini », pour reprendre l’expression de Paul Valéry, exigent un consensus autrement plus vigoureux. L’exploration de futurs inédits, la recherche d’un mode de développement humain vraiment durable, les défis à relever sont extraordinaires, au sens littéral du mot. Les petits arrangements d’hier ne suffiront pas, un consensus dur est nécessaire.
Un consensus dur est celui que chaque participant s’approprie au fond de lui-même, pas pour des questions tactiques ou de circonstance. La conviction est le signe du consensus dur, comme la résignation et l’opportunisme pouvaient l’être pour le consensus mou. Le consensus dur se construit dans la durée. Il s’appuie, chemin faisant, sur des évènements ou des phénomènes qui marquent les esprits. Ses promoteurs éviteront de se l’attribuer, de se donner un rôle hégémonique, ils auront à cœur de convaincre, en jouant sur les cordes sensibles de leurs interlocuteurs, en sachant se mettre à leur place, utiliser leur langage et leurs références culturelles.
Le consensus dur est parfois le fruit de l’adversité. La résistance à un envahisseur en donne une bonne illustration, avec le conseil national de la résistance, qui a permis le redémarrage de la France en 1945. Ce mécanisme ne peut guère fonctionner quand les défis se manifestent lentement, insidieusement, comme le réchauffement climatique, la surpopulation, ou, à une autre échelle, le sentiment de décrochage, de perte d’influence, de déclassement. Une stratégie dans la durée est alors nécessaire pour créer le consensus dur. A défaut, le besoin d’autorité monte en sourdine, la poigne semble nécessaire pour sortir d’une mauvaise pente. Le risque est réel de voir cette attente s’exprimer avec impatience, alors que le consensus dur se construit avec le temps. Les questions immédiates prennent vite le pas sur les enjeux au long cours, même s’ils sont bien plus lourds de conséquence.
Des consensus mous, plus faciles à obtenir, peuvent alors devenir des jalons atteints rapidement, sur le chemin d’un consensus dur. Des étapes, avec chacune leurs acquis, et sans concessions qui seraient en contradiction avec le contenu du consensus dur. Une attitude pragmatique, avec son aspect pédagogique, qui permet de créer progressivement le consensus dur, tout en le précisant, voire le redéfinissant au fur et à mesure qu’il se rapproche.
Une stratégie qui passe par le solde, toujours délicat, des vieux contentieux, et l’intégration de la mémoire des protagonistes, toujours prête à raviver d’anciennes querelles. A l’échelle de l’Europe comme de la planète, les ressentiments sont légion, et il faut donner envie de les dépasser. La proposition d’un avenir prometteur, sur des bases égalitaires, est en général une bonne manière d’y parvenir. Elle rejoint la ligne directrice du dictionnaire du développement durable : Donner envie du développement durable.
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