Hors-la-loi
L'écologie est aujourd'hui à la mode, et on le lui reproche suffisamment. Elle ne l'a pas toujours été, en France et ailleurs. Les écologistes ont souvent été de véritables dissidents, et même parfois des hors-la-loi.
L’aventure du far-West, la découverte de nouveaux espaces et un univers de dure compétition, en a conduit plus d’un à se mettre en dehors de la Loi, laquelle n’existait même pas dans des territoires fraichement colonisés. Le terme d’hors-la-loi n’a donc pas une très bonne réputation, même s’il provoque parfois un sentiment de sympathie accordée à ceux qui défient les autorités.
En matière de développement durable, nous sommes aussi dans des champs nouveaux, qu’il nous faut défricher. Il faut apprendre, prudemment mais avec Détermination, à transgresser des lois traditionnelles. Ce n’est pas par méchanceté ni par un besoin obsessionnel de faire Autrement, mais parce que l’innovation suppose que l’on s’interroge sur les lois et les Usages courants, élaborés dans une autre époque que la nôtre, et qui ont parfois fait leur Temps. Les prolonger au-delà serait une erreur. Le développement durable nous conduit donc souvent hors la loi, au-delà des lois pourrait-on dire plus judicieusement. Tout le monde convient aujourd’hui que les lois de l’économie classique, reformulées en 1945 pour reconstruire le monde, ne sont adaptées au monde du 21e siècle. La crise financière que nous traversons actuellement semble le révéler, mais la crise écologique est beaucoup plus profonde. Elle touche à des données physiques, la capacité de la planète à produire chaque année les Richesses dont nous avons besoin pour vivre, alors que la crise financière concerne avant tout des conventions humaines. La Faillite d’un Système montre l’importance de ces conventions, car l’organisation de nos sociétés détermine largement notre capacité à exploiter convenablement les ressources disponibles et à en accroître l’efficacité. Les règles du Jeu que nous nous sommes données peuvent changer, et assez rapidement, alors que le potentiel biologique de la planète obéit à des lois que nous ne maîtrisons pas, avec des rythmes qui s’imposent à nous. Que la crise financière provoque une réflexion sur le fonctionnement de l’économie est sans doute salutaire, à condition d’intégrer la finitude du monde dans le champ des débats, et de ne pas se cantonner à un univers strictement financier, même touché par la grâce de l’éthique. Soyons donc hors-la-loi-ancienne, inventons de nouvelles lois humaines, mais n’oublions pas celles de la nature, qu’il serait judicieux de garder en tête dans la refondation législative dont la nécessité semble aujourd’hui reconnue.
Les hors-la-loi, ce sont aussi les dissidents, dont certains ont laissé un bon souvenir, comme Robin des Bois, dont le nom a été repris par une association de défense de l’Homme et de l’environnement(1). De nombreuses sociétés bien organisées ont leur dissidents, porteurs des messages et de Valeurs que beaucoup souhaiteraient oublier. Il y en a dans de nombreux pays, et il en a toujours eu, qui ont bousculé l’ordre établi, souvent en payant le Prix fort. Comme dit Guy Béart, le Premier qui dit la Vérité... Les dissidents de l’ex Union soviétique sont restés célèbres, et le mois d’aout dernier a vu deux d’entre eux d’éteindre. On a beaucoup parlé d’Alexandre Soljenitsyne, disparu le 3 août, mais nettement moins de Vassili Neterensko mort le 22 aout 2008. Ce dernier est un savant atomiste, jadis très bien placé dans l’appareil soviétique, et qui s’est révolté après l’explosion du réacteur numéro 4 de la centrale de Tchernobyl le 26 avril 1986. La manière dont les autorités Soviétiques et internationales ont réagi l’a conduit à mener tout le reste de sa vie une action continue pour faire connaître les effets de la catastrophe. Il a ainsi mis en évidence les conséquences de l’ingestion des éléments radio actifs, dans des aliments notamment. Fixés dans les organismes, ils irradient le corps en permanence et constituent une cause de cancers qui se manifestent très progressivement. Bien au-delà des premières victimes, Tchernobyl continue à produire ses effets, et l’establishment de l’industrie nucléaire n’apprécie pas que l’on mette en évidence ce genre de bombe à retardement.
Dans le même registre, il faut signaler ceux que l’on appelle les donneurs d’alerte, ceux qui perçoivent des dangers là où ils travaillent et ne peuvent alerter les autorités et l’opinion sans faire du tort à leur propre boutique. Situation bien délicate, que certains voudraient protéger pour éviter la dissimulation des effets indésirables de telle ou telle innovation, qui ne serait plus, alors, un Progrès. Des hors-la-loi d’un nouveau type, que la loi voudrait reconnaître.
Le développement durable s’écrit tous les jours, dans un monde que nous découvrons, avec une bonne dose d’inconnu. Et voilà une nouvelle contradiction qui apparaît : Les lois sont nécessaires, tout comme la transgression. A nous d’en sortir par le haut !
Commentaire d'Yves Lenoir
Juste deux remarques : si Vassily Nesterenko s'était mis hors la loi, il aurait échoué et terminé ses jours en prison. Il a toujours manoeuvré avec beaucoup d'intelligence pour conserver des possibiités d'action maximales.
Une des racines des malheurs frappant les populations maintenues dans les régions contaminées par les retombées de la catastrophe de Tchernobyl est l'accord conclu en 1959 entre l'OMS et l'AIEA (Agence internationale pour l'énergie atomique). Une manifestation permanente commencée le 26 avril 2007 se tient jour après jour
Chronique mise en ligne le 2 octobre 2008, revue le 28 octobre 2010
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