Excédents
Après les excédents de lait, qui ont fait couler beaucoup d’encre en leur temps, ce sont les excédents d’électricité qui nous préoccupent. Le développement attendu des énergies renouvelables éclaire la question sous un jour nouveau.
Les énergies renouvelables sont souvent critiquées pour leur caractère intermittent. Une critique bien exagérée, quand on pense qu’aujourd’hui, la première énergie renouvelable, l’hydraulique, est parfaitement maîtrisée et peut être mobilisée à la demande. Et il ne s’agit que de l’électricité. Il y a bien d’autres formes d’énergie. La biomasse, sous toutes ses formes du bois au biogaz, est par nature stockable, et utilisable quand c’est utile.
Cela n’empêche pas de se poser la question de l’intermittence, pour plusieurs formes d’énergie solaire, le photovoltaïque et l’éolien, mais on pourrait aussi parler des énergies marines, elles aussi intermittentes, mais souvent prévisibles comme le sont les horaires et la force des marées.
Une production aléatoire d’électricité pose le problème du stockage, et des travaux sont multiples pour trouver des solutions, à base de chimie (piles, hydrogène, etc.) ou de retenues d’eau, voire d’air comprimé. Mais avant de penser stockage, regardons s’il est possible de s’adapter à l’intermittence côté utilisation. Comment utiliser en direct les excédents d’électricité quand ils existent ?
Une première piste est la mutualisation. C’est ce qui se pratique pour l’électricité solaire captée sur les toits des particuliers. Il peut y avoir de l’autoconsommation, mais cela suppose une adéquation de la production et des besoins, ce qui est loin d’être le cas. La distribution de cette électricité sur le réseau permet d’en faire bénéficier d’autres utilisateurs, et ainsi d’augmenter la probabilité de trouver une utilité au moment où l’énergie est produite.
Peut-on aller plus loin ? Le développement des énergies renouvelables conduit à se poser la question. Dès maintenant, des excédents saisonniers existent dans notre pays, à base d’énergies renouvelables et de production nucléaire. D’avril à septembre, la surcapacité est évaluée à 3 gigawatts. Nous sommes obligés alors de vendre à bas prix ces excédents, 15 térawattheures, un bon paquet qui nous resterait sur les bras malgré la baisse de régime des centrales nucléaires pendant cette période. Un volume qui ne peut que s’accroître, et doubler d’ici 2018, avec la progression du parc éolien et du solaire photovoltaïque.
Une électricité pas cher pendant six mois de l’année, ça fait réfléchir les gros utilisateurs. Ce ne sont pas les particuliers, mais les usines fortes consommatrices, électro-intensif comme on dit, comme certains chimistes et les sidérurgistes et quelques autres encore comme les papetiers. Une industrie lourde, pour une énergie en partie déconcentrée. Un paradoxe intéressant, et qui suppose encore du travail. Cela suppose une flexibilité du côté des utilisateurs, qui doivent s’adapter au rythme des saisons. Pourquoi pas ? Cela changera sans doute quelques habitudes, et demandera une organisation originale, mais toutes les activités en relation avec la nature conduisent les hommes à se plier à ses lois. Il y a bien sûr l’agriculture et la pêche, mais aussi le tourisme, le BTP, et bien d’autres secteurs affectés par les saisons ou le temps qu’il fait. La météo offre aujourd’hui des services aux entreprises pour anticiper, par exemple, sur le soleil et le besoin de boissons rafraichissantes, ou la pluie et le besoin de parapluies. L’industrie lourde n’est pas à exclure de cette logique, il faut juste s’y préparer.
Profiter des variations saisonnières, saisir des opportunités, voilà un comportement d’entrepreneur. Le double dividende n’est pas loin, un profit pour l’entreprise et une bonne action pour l’environnement, en évitant un gaspillage et en favorisant le développement d’énergies décarbonées. Et cela conduit en outre l’industrie à expérimenter sur l’usage des énergies renouvelables, à se familiariser avec leurs caractéristiques, et à préparer l’avenir. Même si des innovations techniques permettent un jour de faire du stockage d’électricité, il restera toujours couteux, et son rendement ne sera jamais 100%. Autant l’éviter et privilégier une consommation immédiate de la production, ne laissant au stockage que les excédents des excédents. C’est une logique d’éco-industrie, où il est recherché la complémentarité entre plusieurs activités. Les déchets des uns sont les ressources des autres. Dans ce cas précis, les déchets sont les excédents d’énergie, il faut leur trouver des utilisateurs à leur mesure.
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