
Cher
L'augmentation du coût de l'énergie apparait souvent comme la meilleure incitation à la modération des consommations. Cela ne suffit pas, et l'énergie chère peut engendrer des dommages sociaux et écologiques.
Cher, un mot à la double résonance, la bonne, celle des chers amis, et la mauvaise, celle de la vie chère. Affection d’un côté, privation de l’autre. Dr Jekyl et Mr. Hyde, en quelque sorte. Pour une fois, prenons le mot par son mauvais côté, avec une denrée particulièrement sensible : l’énergie.
Notre société a construit son développement récent sur l’énergie pas chère. Une énergie façonnée par la nature, et qu’il n’est besoin que d’extraire et de raffiner. Bien moins cher que la traction animale ou la biomasse. Ces sources traditionnelles ont donc été progressivement abandonnées, et sont devenues anecdotiques, malgré une part résiduelle que le Bois a su conserver. Les moulins à vent sont devenus des lieux touristiques, et ceux de leurs cousins à eau qui ont survécu se sont métamorphosés en petites centrales hydrauliques.
Cette époque d’énergie pas chère a engendré bien des avantages. Elle a permis des Progrès techniques considérables, la machine à vapeur a ouvert des possibilités de production inimaginables auparavant. Elle a aussi provoqué l’abandon de principes de sagesse. Pourquoi s’embêter à isoler, à économiser, puisque l’énergie est abondante et pas cher ? Il a fallu le premier choc pétrolier pour que l’on songe à une réglementation thermique pour les constructions neuves. On a baissé la garde dès que le mauvais moment fut passé.
Aujourd’hui, il semble bien que cette époque soit révolue. Les énergies fossiles présentent en outre le grave défaut de déstocker le carbone enfoui depuis des millions d’années, et de provoquer des phénomènes qui coûteront de plus en plus cher. Au prix de la fourniture, s’ajoutera donc celui des rejets, quelle que soit la forme retenue, taxe carbone par exemple. De son côté, l’électricité nucléaire approche du moment où il va falloir songer à renouveler le parc et surtout démanteler les centrales des premières générations.Les chiffres évoqués par l’agence internationale de l’énergie concernant la facture qu’il va falloir payer sont impressionnants. En un mot, l’énergie pas chère a vécu.
Dans un premier temps, c’est le retour à la sagesse. Il y a beaucoup de calories à récupérer, les économies constituent un gisement important qu’il est facile d’écrémer. Il y a des limites cependant, pour de nombreuses raisons. La géométrie de nos villes, les techniques constructives, l’organisation de la production de plus en plus éloignée de la consommation, la déterritorialisation de l’agriculture, sont des phénomènes lourds, qui structurent nos vies et provoquent des rigidités fortes sur nos besoins d’énergie. Bien sûr, l’énergie la moins chère est celle que l’on ne consomme pas, mais il faut bien quand même en produire, au moins pendant une période de transition qui durera plusieurs dizaines d’années..
Les énergies renouvelables ont pris un sérieux retard en France. L’argent qui a été investi dans le nucléaire ne l’a pas été ailleurs, et l’émergence de nouvelles filières, ou leur modernisation, n’était pas possible avec la concurrence d’un pétrole à 15 § de baril. Les spécialistes s’accordent sur le fait que les prix actuels permettent enfin à de nouvelles techniques de voir le jour ou de sortir de la confidentialité. Des investissements leur sont consacrés, des objectifs ambitieux sont affichés, des avantages financiers sont proposés pour amorcer des processus vertueux. Le défi énergétique provoque de la R&D dans de nombreux domaines, et l'économiste britannique Nicholas Stern nous a montré que les efforts nécessaires pour le relever coûteraient beaucoup moins cher que les dégâts que la passivité, le fil de l’eau entraînerait.
Le prix élevé n’a pas que des avantages. Il agrave la précarité énergétique, dans une situation déjà tendue par un important taux de chômage(1). La refonte du parc immobilier, le parc social de droitou de fait, prendra du temps, même si le Grenelle de l’environnement constitue un puissant accélérateur. Le prix élevé attire des affairistes ou des opportunistes motivés par les aides massives, avec des effets d’aubaine ou des excès que les contrôles ne permettent pas d’éliminer.
On a vu que l’agriculture était fortement sollicitée, ce qui peut provoquer en retour des crises alimentaires, même si bien d’autres phénomènes y contribuent également. La biodiversité est parfois la victime de cet engouement pour la biomasse, avec des défrichements massifs de forêts primaires au profit de la culture du palmier à huile par exemple. Le pétrole à 15 $ le baril protégeait la forêt de ces excès.
Paradoxalement, les énergies fossiles peuvent retrouver une vigueur avec le pétrole cher. Il va devenir rentable d’aller les chercher dans des conditions extrêmes, loin de tout, dans les profondeurs et sous des climats inhospitaliers, ou encore sous des formes peu concentrées. C’est le cas des sables bitumineux du Canada. Des kilomètres carrés de l’Alberta sont ainsi retournés à la recherche de l’or noir. L’exploitation de gaz non conventionnels, moins concentrés, se développe rapidement, notamment aux Etats-Unis. Sans actions fortes sur les rejets, le prix élevé de la ressource ouvre la voie à une nouvelle génération de recherche minière, dont les effets peuvent se révéler catastrophiques pour l’environnement.
Ceux qui voyaient dans l’énergie chère un allié de poids pour la lutte contre l’effet de serre se sont trompés. Les soubresauts du prix du pétrole ont provoqué une prise de conscience, et une baisse de la consommation. Mais sans action spécifique sur les rejets, financière ou réglementaire, craignons que Henri Prévot n’ait raison quand il proclame qu'il y a trop de pétrole(2) à la surface de la planète !
1 - On pourra se reporter sur ce point au livre de Christian de Perthuis, Et pour quelques degrés de plus, Pearson, 2009
2 - Henri Prévot, Trop de pétrole, Le Seuil, 2007
Chronique mise en ligne le 19 avril 2010
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