Scepticisme
Le doute et le scepticisme sont souvent confondus. En matière de changement climatique, ils conduisent pourtant à deux attitudes opposées.
Le scepticisme recule. Il s’agit du réchauffement climatique. C’est ce qui a été dit, notamment, au cours d’une réunion d’Entreprises pour l’Environnement (EPE) sur l’adaptation au réchauffement climatique(1).
Les grandes entreprises établies à travers le monde prennent conscience du phénomène, et adoptent une politique d’adaptation. Phénomènes climatiques extrêmes, remontée des océans, conséquences sur la biodiversité, sur l’agriculture, etc. L’aménagement et la construction sont en première ligne. Le réchauffement climatique change profondément la physionomie de la planète, et les entreprises humaines doivent s’y adapter. Il semble que le message touche aujourd’hui les grands décideurs, réjouissons-nous.
On ne dira jamais assez combien le scepticisme fait de mal. A ne pas confondre avec le doute. Le doute est fort utile, et facteur de progrès. Il faut douter des fondements de nos modèles de développement, face aux dégâts qu’ils provoquent. Les « vérités » ne sont plus établies une fois pour toutes, et le développement durable est justement le cadre conceptuel qui permet d’avancer, malgré tout, dans l’incertitude. Ce cadre intègre le concept de doute, avec le principe de précaution, à utiliser dans des circonstances rares mais précises : en présence de risques à la fois graves et irréversibles, pour lesquels le doute subsiste, même si des présomptions sérieuses existent. C’est le garde-fou complémentaire à « l’ardente obligation » d’innover, donc à prendre des risques. A distinguer de la prévention, où il s’agit de se prémunir contre des risques avérés, comme le tabagisme qui provoque le cancer.
Mis en œuvre à bons escient, le principe de précaution s’appuie sur le doute pour passer à l’action, et lancer les recherches nécessaires à sortir du doute, tout en prenant entre temps des mesures conservatoires, car le retard dans l’action pourrait coûter très cher. Vive le doute, donc, et sachons le valoriser pour progresser.
Le scepticisme relève d’un autre registre. Au lieu de pousser à l’action, il provoque l’attentisme. Peu importe la nature du risque, repoussons la décision à plus tard. Faisons comme avant, puisque nous n’avons pas de certitude sur ce qui nous attend. Le scepticisme est le principal allié du conservatisme. Quand on connait la force des résistances au changement, on mesure les dangers que le scepticisme peut engendrer. Chacun se raccroche à l’espoir que « le pire n’arrive pas toujours », que le danger pourrait ne pas exister. Alors, pourquoi changer ? Pourquoi mettre en péril un équilibre bien installé, des modes de vie, de gouvernance, de production et de consommation ? Dans un tel contexte, la moindre expression qui permettrait de penser que l’on pourrait échapper au châtiment est reçue avec enthousiasme et soulagement. Depuis le déluge, les catastrophes sont en effet rapportées à des fautes humaines, et on entre vite dans un univers moralisateur, peu propice au doute et à la recherche de la vérité.
Les puissances établies, économiques, institutionnelles, culturelles, et leurs lobbys ont beau jeu d’activer le scepticisme. Elles trouvent en outre des appuis dans les milieux progressistes radicaux, que le doute agace. Le doute exige, pour avancer, une discipline de comportement dont beaucoup voudraient s’affranchir. Les positions tranchées et définitives nourrissent naturellement le scepticisme.
Faire sortir les activités humaines de la fatalité du carbone est une nécessité mais aussi un chalenge. Les bouleversements qui ont résulteront affecteront les grandes entreprises tout comme les activités ménagères les plus modestes, et l’adaptation sera une épreuve pour beaucoup, même si elle ouvre des perspectives nouvelles de développement. Chacun ressent en son for intérieur que ladite épreuve est incontournable, mais plus tard, et pourquoi pas pour mes enfants ou mes petits enfants. Un peu de scepticisme est à cet égard une formidable aubaine. Attendons encore, pour agir avec justesse dans un univers bien balisé de certitudes. Ne faisons rien pour l’instant.
La confusion entre doute et scepticisme est dangereuse. Le doute est souvent dévalorisé, il est présenté comme une faiblesse, alors que le scepticisme est l’apanage des esprits forts. Deux concepts proches, mais aux traductions pratiques opposées, l’action et l’attentisme. Pour le réchauffement climatique, ça change tout !
1 - Le 3 avril 2014, pour la publication d’un document conjoint EPE ONERC (observatoire national sur les effets du réchauffement climatique) « Les entreprises et l’adaptation au réchauffement climatique », à télécharger ici sur http://www.epe-asso.org/pdf_rap/EpE_rapports_et_documents134.pdf
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