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Argent, Economie et PIB

Payeur

Nous sommes fiers du principe « pollueur payeur », inscrit dans notre constitution. A juste titre, car ce principe présente deux qualités : être une source de moyens financiers pour traiter convenablement les dommages et faire de la prévention, et influencer le comportement des responsables des pollutions.
C’est comme la santé. Les dépenses inquiètent les décideurs, avec les déficits qu’elles entraînent. Rares sont les déclarations sur les vertus d’une population en bonne santé et sur les bienfaits d’un système de santé performant. Le coût est mis en avant, jamais la valeur du service.

L’environnement est traité de la même manière. « Combien ça coute ? » semble être la seule question. Alors que ce ne sont pas les actions en faveur de l’environnement qui coûtent, ce sont celles qui ne sont pas faites. L’inaction coute bien plus cher que l’action. Imaginez un instant que soit décidé l’abandon de la taxe sur les ordures ménagères, et la politique qui va avec. Les grèves des éboueurs vous donnent des images de ce que cela pourrait donner, et il faudrait y ajouter bien d’autres phénomènes, pollution des eaux, problèmes d’hygiène, épidémies, etc. Dans un autre ordre d’idées, la dégradation de sites peut entraîner une baisse de fréquentation, ce qui couterait plus cher que leur entretien. N’oublions pas que le premier ministre de l’environnement, Robert Poujade, par ailleurs maire de Dijon, disait que son secteur sauvegardé rapportait plus à sa ville que sa zone d’activités.
Il faut bien sûr être rigoureux dans les choix techniques et les modalités d’intervention, mais soyons clair : l’environnement ne coûte pas cher, face à son contraire, le non-environnement. Dans son rapport sur la pollution de l’air, la sénatrice Leila Aïchi indique que les mesures de réduction de la pollution couteraient 6,4 milliards d’euros par an, pour des bénéfices sanitaires de l’ordre de 17,7 milliards, soit un gain annuel de plus de 11 milliards d’euros par an. Un investissement hautement rentable : plus de 175% par an ! Et aussi une somme à gagner non négligeable : Plus de deux fois le montant du déficit commercial de la France, pour fixer les idées.
Le problème est que ce n’est pas toujours le pollueur qui paye, contrairement à ce que le principe, pourtant constitutionnel, annonce. Ceux qui bénéficieraient d’un air plus sain, pour une valeur de 17,7 milliards, ne sont pas ceux qui payeraient les 6,4 milliards. Le « modèle économique » ne fonctionne pas. Le coût de la pollution est diffus, et les gains éventuels le sont aussi. Partagés entre une multitude d’acteurs, à titre personnel ou professionnel. Les payeurs hurlent au hold-up fiscal à chaque fois qu’un prélèvement est envisagé, sur les carburants par exemple. C’est ainsi que les chiffres impressionnants sont atteints : la pollution de l’air en France coûte plus de 100 milliards d’euros chaque année, auxquels il faudrait ajouter 20 autres milliards au titre de la pollution de l’air intérieur, celui que vous respirez chez vous ou au bureau.
La pollution de l’air a fait l’objet de nombreuses études économiques, dont la sénatrice s’est inspirée pour écrire un document validé à l’unanimité par la commission d’enquête. Il existe bien d’autres domaines où les coûts sont moins bien connus, comme ceux de la dégradation d’un paysage. Il y a souvent des effets d’accumulation sans que les effets ne se fassent sentir, si bien qu’il est difficile ensuite de revenir en arrière : les acteurs économiques ont trouvé leur équilibre sans payer leur « prélèvement » sur la qualité de l’environnement, et ils ne veulent pas que ça change !
La question du bruit, première nuisance ressentie par les Français, vient d’être explorée par le cabinet EY, à la demande du Conseil National du Bruit et de l’ADEME. Malgré la prudence des rapporteurs, qui ont systématiquement retenu des hypothèses basses chaque fois qu’il y avait un doute, le chiffre de 57 milliards est avancé. Des couts auditifs, surdité et pertes d’acuité auditive, mais aussi d’autres formes de couts sanitaires, maladies cardio-vasculaires en particulier, et de nombreux couts sociaux, baisse de productivité au travail et à l’école, dégradation de relations sociales, dépréciation de biens immobiliers, etc. Le bruit coute plus cher que le tabac, mais le prix est en bonne partie supporté directement par les victimes. En dehors du cas particulier des aéroports, ce sont les seules victimes qui paient. C’est le royaume du « pollué-payeur ».
Vous le voyez, les sommes en jeu dans les affaires d’environnement sont considérables. L’unité de compte est la dizaine de milliards d’euros. Nous sommes dans les mêmes ordres de grandeur que le coût social des accidents de la route, des méfaits du tabac, et aussi du déficit budgétaire de la France, autour de 70 milliards. En matière diffuse, les dépenses de prévention sont souvent prises sur le budget de l’Etat (y compris la sécurité sociale) ou des collectivités locales. Quand il faut faire des économies, la tentation est forte de reporter la charge sur les pollués, qui ne constituent pas une force sociale organisée, et acceptent, bon an mal an, de payer la facture, une facture discrète mais lourde. Mais c’est la situation économique et sociale de la maison France qui se dégrade. Le déficit de la sécurité sociale en est aggravé, la « cohésion sociale » affectée, la performance des salariés au travail diminuée, l’attractivité du pays dépréciée, l’avenir hypothéqué. Le coût de l’inaction, pour reprendre le sous-titre du rapport sénatorial, est en partie masqué, mais il est élevé. Est-ce durable ?
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