Milliards
Le cout estimé de la mise en oeuvre du "Grenelle de l'environnement" enrichit à son tour le débat sur l'économie et l'écologie, souvent opposés alors que ces deux visions doivent être conjuguées.
Nous aurions pu consacrer cette chronique aux milliards d’êtres humains à la surface de la planète, qui ont droit à une vie digne dont beaucoup ne bénéficient pas aujourd’hui. Ce sera pour une autre fois, car l’actualité nous conduit à parler de milliards d’euros. Les nombreux programmes décidés au Grenelle de l’Environnement inquiètent nos financiers. Combien de milliards d’euros va-t-il falloir pour faire tous les travaux, TGV, tramway, rénovation des bâtiments, lutte contre les points noirs du bruit, etc.
La question est classique, pour qui ne regarde que la dépense, et non les effets de la dépense, son utilité. Retournons la question : combien coûte l’environnement quand on ne s’en occupe pas ? Il y a quelques années, des études sur le coût social du bruit, incluant notamment la dépréciation des biens, les retards scolaires dus à la mauvaise acoustique des écoles, et le prix de la gêne, donnait un chiffre équivalent à celui estimé pour les accidents de la route (1). Infiniment plus que les budgets consacrés à lutter contre cette nuisance. Combien coûterait le non traitement des déchets et des eaux usées, en termes de risques sanitaires, de dégradation des milieux de vie, de pertes concomitantes de fréquentation touristique, etc. Le maire d’une grande ville touristique, qui fut aussi ministre de l’environnement, disait que son secteur sauvegardé lui rapportait plus que sa zone industrielle.
Améliorer l’environnement, c’est créer de la valeur, et réduire des risques. Il est vrai que ces avantages sont parfois difficiles à apprécier, ce qui conduit à les négliger. Il y a des économies qui coûtent très cher. Prenez les documents d’urbanisme, par exemple. Le Grenelle prévoit qu’ils seront assortis d’études d’impact pour maîtriser les effets des extensions urbaines, et c’est très bien. On oublie juste que la loi l’impose depuis trente ans. Ni l’Etat ni les communes n’ont voulu mettre les moyens nécessaires pour ces études d’environnement, ni d’ailleurs pour les autres études de diagnostic qui auraient été bien utiles pour réaliser de bons documents d’urbanisme. On a eu les POS « coupé – collé », répétant à l’infini les mêmes modèles, et il faut bien dire que les moyens mis en œuvre ne permettaient guère de faire beaucoup mieux. Résultat ? Des extensions qui coûtent très cher aux collectivités, des équipements mal valorisés, et du mal vivre, des quartiers où on s’ennuie, des quartiers mal desservis, sans services publics, etc. Tout cela coûte aujourd’hui très cher, aux collectivités ou aux habitants. L’exigence environnementale est à l’inverse porteuse de Progrès techniques. On l’observe clairement dans le secteur du bâtiment, mis sous pression par la recherche d’économies d’énergie et la demande croissante de confort et de sécurité. Délaissé pendant des années, le bâtiment attire à nouveau des talents. Et il en faudra des talents et de l’ingéniosité pour construire plus de 400 000 logements par an, qui ne consommeront que la moitié de ce que l’on fait de mieux aujourd’hui, tout en offrant un confort accru à leurs occupants, sans compter tous les équipements, écoles, commerces, bureaux, etc. qu’il faudra construire avec des exigences comparables.
Le prix élevé que l’énergie a atteint aujourd’hui conduit avant tout à des progrès. Bien sûr, il y a des difficultés d’adaptation, et tout le monde n’est pas égal devant l’épreuve. Il y a une solidarité à organiser. Mais la conséquence la plus durable est que l’on se soucie enfin de son efficacité. Si l’énergie coûte deux fois plus cher, puis-je me débrouiller pour en consommer deux fois moins, en vivant aussi bien et même mieux si possible ? Tel est le défi à relever, et il y a gros à parier qu’il le sera et au-delà, si la dynamique des acteurs est enclenchée. Le bilan de dix années de haute qualité environnementale (HQE) des bâtiments est encore modeste en nombre d’opérations, mais il est remarquable en terme de mobilisation des professionnels, concepteurs, entreprises, et maintenant gestionnaires. Il permet aujourd’hui de passer à la vitesse supérieure, et de devenir un des leviers de la croissance préconisé par la commission Attali. L’investissement environnement est un bon placement.
1 - Une étude plus récente (2016) d'EY pour le compte du conseil national du bruit etde l'ADEME propose une évaluation du coût social du bruit de près de 60 milliards d'euros par an.
Chronique mise en ligne le 31 octobre 2007, revue le 1er février 2010 plus le commentaire ci-dessous et la note ajoutée en mai 2017
Commentaire d'actualité (4 mars 2011)
L'actualité récente illustre abondamment le constat que l'environnement coûte cher, quand on ne s'en occupe pas. Il s'agit d'une étude européenne sur la pollution de l'air par les particules fines, et de ses effets sur la santé. Elles réduisent notre espérance de vie - on le savait bien, puisque les pics de pollution provoquent des surmortalité - et provoquent des troubles de santé qui coûtent cher. Le chiffre avancé, dont on ne sait pas vraiment s'il s'applique à toute l'Europe ou juste aux villes de l'enquête, est de 31,5 milliards d'euros, chaque année. ça fait beaucoup d'argent, auquel il faudrait ajouter les méfaits des autres polluants comme l'ozone. Pour le bruit, on parle, pour le bruit des transports, d'une perte par an d'un demi point de PIB.
On peut empiler les informations de ce type, comme la dernière publiée par Le Monde du 4 mars sur la pollution des rizières en Chine. Dix pour cent seraient contaminées au cadmium. Combien ça coûte ?
DB
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