
Economies
A défaut d'austérité, l'air du temps est aux économies. Bonne nouvelle si cette recherche d'économies ouvre la réflexion sur le modèle de croissance ; mauvaise nouvelle si elle s'applique aveuglément sans remise en question des options qui ont conduit aux problèmes d'aujourd'hui.
Il y a des économies qui rapportent, il y en a qui coûtent cher. Il y en a aussi qui sont des tours de passe-passe, qui ne servent qu’à transférer une charge, et non à l’alléger.
Les trente glorieuses nous ont mal habitués. La croissance résolvait tous les problèmes, et tout était bon pour la favoriser. Les économies, en ce sens, sont devenues anti économiques. Il vaut mieux produire plus, toujours plus, ça fait tourner l’économie (au singulier), et tout ira bien. Mieux vaut accroître la capacité de l’offre que de contenir la demande. Un problème de mobilité ? Ne cherchons pas à le réduire par un aménagement plus harmonieux ou des équipements très efficaces, mais profitons en pour doper l’industrie de l’automobile. Créons des besoins, soutenons s’il le faut la demande par des aides, nous alimentons ainsi une croissance qui dégagera des bénéfices, et permettra ainsi de résoudre tous les problèmes. Une spirale est enclenchée, qui pourrait fonctionner dans un monde infini, mais qui butte sur des limites dans un monde « fini », surtout quand il rencontre les appétits de croissance des pays émergents avec laquelle elle entre en compétition.
Il y a d’autres moyens de réduire les dépenses, sans créer de frustration, et de trouver un nouvel équilibre. La demande en eau des pays de la Méditerranée peut être satisfaite par création de nombreux ouvrages ou équipements, ou bien l’être par une gestion rigoureuse de la ressource, une chasse aux fuites et une formation des agriculteurs : la seconde solution coûte quatre fois moins cher que la première, une source d’économies sans douleur !
Il faut aussi savoir dépenser de l’argent pour réduire des dépenses qui n’apportent ni plaisir ni utilité. Nicholas Stern dans son rapport sur l’économie du changement climatique nous dit que le coût du laisser faire, de l’inaction est entre 5 et 20 fois supérieur à celui des mesures de lutte contre l’effet de serre. Dans cet esprit, signalons une bonne nouvelle dans le monde de l’alimentation. L’obésité des adolescents est en baisse en France, une baisse de 18% à 16% entre 2000 et 2007, et surtout un retournement de tendance. C’est le résultat du programme national nutrition santé, dont les résultats ont été rendus publics le 6 mai dernier. Un retournement de tendance qui fait gagner de l’argent : l’obésité coûte plus de 2 milliards d’euros chaque année en frais médicaux, auxquels il faut ajouter plus d’un milliards d’indemnités journalières, sans parler des dépenses personnelles engagées par les victimes de la maladie pour retrouver un équilibre psychologique, et tous les autres coûts humains difficilement monétarisables. L’argent public dépensé pour favoriser meilleure alimentation fait faire des économies à tout le monde. Gratter sur cet argent, au motif de maîtriser les dépenses de santé serait une fausse économie, une économie qui coûte cher.
Dans la construction, on observe des phénomènes comparables. Prenez un immeuble de bureaux. Il est le lieu d’une création de richesses, d’une valeur ajoutée, et c’est sa raison d’être. Cette valeur ajoutée est composée de plusieurs facteurs, comme l’édification du bâtiment et sa maintenance et les salaires versés au personnel. Ceux-ci représentent 90% de la valeur ajoutée, contre 2% pour la construction des locaux. Où est l’enjeu principal ? La productivité du travail des personnels dépend pour une part, souvent estimée à 10-15%, de la qualité du cadre et des ambiances qui leur sont offerts. Un bon confort thermique et acoustique, un bon éclairage, un bon renouvellement d’air, un paysage intérieur agréable et des vues sur l’extérieur, tous ces éléments contribuent au moral des troupes, à la convivialité des relations entre collègues, à la santé de tous. Faire des économies sur la qualité des locaux, c’est prendre le risque de dépenses ou de manque à gagner bien plus importants.
L’organisation des territoires est une autre source de dépenses, ou d’économies. L’Étalement urbain coûte cher aux collectivités qui doivent assurer des services publics, et aux particuliers qui doivent payer pour avoir deux ou trois automobiles par ménage, les assurer et acheter de l’essence. Pour l’éviter, il aurait fallu maintenir et cultiver l’attractivité de la ville, des prix accessibles, avec des services, un cadre de vie agréable en particulier pour les familles. Le peu d’argent consacré aux documents d’urbanisme a réduit au stade de procédure administrative ce qui aurait du être un grand moment de réflexion collective sur l’avenir de chaque ville ou agglomération. La division de la France en 36 000 communes est souvent considérée comme un handicap. Pour les affaires d’ordre humain, social, on peut au contraire affirmer l’importance de la proximité et de la mobilisation des centaines de milliers d’élus locaux. Pour les équipements, l’aménagement, les grands services publics, les regroupements permettent à l’évidence d’aborder les questions à la bonne échelle, d’éviter la cacophonie et la multiplication bien exagérée des zones d’activités ou des piscines. L’Assemblée Nationale a toutefois maintenu la commune comme niveau de compétence pour l’urbanisme, au moment précis où la nécessité d’économies est affirmée par le Gouvernement. Une occasion ratée de faire des économies qui aurait profité aux collectivités, aux habitants et à l’environnement.
La tendance est au regroupement des services publics en de grandes unités, que ce soit pour la santé ou la justice, pour ne prendre que deux exemples qui ont suscité bien des débats. Il s’agit de faire des économies et d’offrir une meilleure qualité de service. L’éloignement qui en résulte pour les usagers de ces services a –t-il été intégré dans les calculs ? Les économies et l’amélioration de la qualité de service ont-elles été comparées aux conséquences des déplacements supplémentaires exigés, et à l’isolement qui en résulte dans de nombreux cas ? La lutte contre les excès des dépenses publiques ne doit pas se traduire par un transfert de la charge aux usagers, avec un bilan qui alourdirait la facture globale, public + particulier, à payer pour un même service.
Ce ne sont pas les dépenses publiques qui posent problème, c’est le rendement du système d’ensemble pour satisfaire les besoins et donner du plaisir. La répartition entre les secteurs publics ou privés doit être déterminée par un souci d’efficacité. Rendre l’école payante allégerait considérablement les finances de l’Etat, mais couterait bien cher à l’économie. Confiner la recherche d’économies à la simple réduction des dépenses publiques serait vain. C’est le fonctionnement général de l’économie qui est en cause. L’enjeu est de substituer au modèle de la fuite en avant, toujours plus d’activité, un autre modèle où la valeur serait fille de la qualité de service, de la richesse des relations humaines. Ce serait la fin de la dictature du PIB, souvent évoquées dans les discours, mais qui ne progresse guère dans les faits. La croissance purement quantitative et les économies ne peuvent faire bon ménage, c’est une autre forme de croissance, qualitative, qui sera porteuse d’économies, naturellement et sans frustrations.
Chronique mise en ligne le 10 mai 2010
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