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Production et protection, à la recherche d’un « en même temps »

L’innovation est souvent fille de crises. Parfois tout de suite, pour assurer une sortie de la crise, mais souvent décalée, le temps de panser des plaies et de passer à autre chose. Il n’est pas interdit d’espérer que les reculs manifestes sur l’environnent provoqués par la crise agricole seront résorbés par des innovations, ou le développement de solutions encore embryonnaires.

Il est toutefois curieux, et de mauvais augure, que les travaux du haut Conseil pour le Climat sur l’agriculture (1) n’aient pas été évoqués alors qu’ils apportaient des réponses aux préoccupations des agriculteurs. L’opposition entre production et protection est restée une forme de dogme, non remis en question, alors que de nombreux scientifiques la contestent, notamment au sein de l’Académie d’agriculture. Il est possible de produire plus tout en favorisant des enjeux d’environnement, régime et qualité des eaux douces, biodiversité, conservation des sols, captation de carbone, paysages, etc. ainsi que santé des agriculteurs et qualité de leurs produits. Un discours manifestement inaudible, de la part d’agriculteurs enfermés dans leur modèle, et attisés par des organisations largement responsables de la situation. La pression des modèles dominants a été par exemple décrite dans le journal Le Monde dans une série d’articles en avril 2023 (1) intitulée « En Bretagne, la face cachée de l’agrobusiness ».

Une fois éliminée l’hypothèse d’une synergie environnement- production agricole, le cadre des discussions s’est nettement appauvri au détriment de l’innovation. Pourtant, de nombreux experts conviennent que le modèle actuel ne peut être prolongé, et qu’il faut en trouver de nouveaux. L’agriculture est le plus mauvais secteur d’activité en ce qui concerne le climat, 20% des émissions pour moins de 2% du PIB, une consommation d’eau non maîtrisée, une dépendance aux importations, des maladies professionnelles et des inégalités records dans les revenus, etc.

Le revenu agricole, tel est le fond du problème, revenu largement artificiel, composé d’une bonne part de subventions et d’interventions sur les marchés. Un argent public qui pourrait être mis à profit pour réduire les inégalités et favoriser l’innovation, mais la prééminence de la surface cultivée dans la répartition de la manne ne favorise guère cette évolution.

A défaut de parvenir à une symbiose agriculture-écologie, l’agroécologie, il est possible de récompenser les agriculteurs qui ont le souci de l’environnement. Il s’agit de payer les services environnementaux. La PAC (Politique agricole commune) le prévoit dans le cadre de Mesures agroenvironnementales et climatiques. Au-delà de l’aide de base, une aide spécifique « environnement » peut être attribuée, toujours en fonction de la surface. Mais il semble bien que ce dispositif n’ait pas séduit les agriculteurs, et que les critères d’attribution de soient pas suffisamment sélectifs.

Pour aller plus loin, le Plan biodiversité du 4 juillet 2018, permettait de payer l’effort consenti par les paysans dans ce domaine en instituant le PSE, paiement pour services environnementaux. Comme chaque activité, l’agriculture produit des biens marchands, qui font l’objet d’échanges monétaires, et non marchands, dont bénéficie la collectivité, comme le stockage de carbone dans les sols. Le PSE est un moyen de rémunérer l’exploitant pour ce service, ainsi reconnu et décrit dans un cahier des charges.
Expérimenté depuis 2020, il y a 4 ans plus tard 172 PSE couvrant chacun quelques dizaines d’exploitations. La crise aurait été l’occasion de booster ce dispositif, mais nous n’en avons guère entendu parler. Haro sur l’écologie est resté le slogan dominant, malgré quelques déclarations bien pensantes mais sans suites. Une occasion ratée. La raison est sans doute l’idée que beaucoup d’agriculteurs se font de leur métier, un métier de production, en rejetant souvent l’idée d’un service, jugée dévalorisante. Un préjugé qui bloque toute progression. Le renouvellement démographique des paysans sera, espérons-le, l’occasion de sortir de cette impasse.

Edito du 6 mars 2024


1 -  https://podcasts.lemonde.fr/lheure-du-monde/202304110000-agrobusiness-en-bretagne-la-loi-du-silence ; https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/04/07/dieu-l-argent-et-la-technologie-la-sainte-trinite-du-complexe-agro-industriel-breton_6168596_3224.html ; https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/04/06/le-lobby-agroalimentaire-breton-une-machine-puissante-et-bien-huilee_6168464_3224.html ; https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/04/05/les-paysans-bretons-dans-la-spirale-du-productivisme_6168289_3224.html ; https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/04/04/dans-les-champs-bretons-l-industrie-agroalimentaire-et-la-culture-de-la-peur_6168137_3224.html ; https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/04/28/l-industrie-agroalimentaire-un-entrelacs-de-pouvoir-et-d-argent-en-terres-bretonnes_6168020_3225.html

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