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Il n’est de richesse que d’hommes

Le point marquant des données démographiques de la France, publiées récemment par l’INSEE est la chute de la natalité. Même le président s’en est ému, qui prône un « réarmement démographique ».

Le nombre d’habitants d’un pays est une donnée politique. Il en va du statut de « première nation », l’Inde venant de prendre la place à la Chine. Mais est-ce que notre bonheur en dépend ? Il est permis d’en douter. Sommes-nous plus heureux que nos voisins belges ou luxembourgeois ? Il y a bien des manières de participer au concert des nations, le nombre d’habitants est un paramètre mais il en existe bien d’autres.

Le nombre fait référence à la puissance, notamment militaire. Le conflit entre l’Ukraine et la Russie en donne une illustration, le vivier de soldats potentiels est mieux loti en Russie qu’en Ukraine. Nous savons bien que le conflit se joue sur bien d’autres paramètres, motivation et type d’armement notamment, mais le nombre reste très présent dans nos imaginaires. La formule de Staline « Le Pape, combien de divisions ? » et les grandes batailles napoléoniennes ont marqué nos esprits. C’est d’ailleurs pour ne pas engendrer de « chair à canon » que l’idée de « grève du ventre » est née au XIXe siècle.

La France, avec 1% de la population mondiale, ne participe pas à cette compétition du nombre, mais elle est directement concernée par la composition de sa population. La baisse de la natalité en provoque mécaniquement le vieillissement. Que ce soit pour cette raison ou en référence à la puissance de notre pays, l’idée générale est que la baisse de la natalité est une mauvaise chose. La France, où la fécondité des femmes est encore supérieure à celles des autres femmes européennes, est qualifiée de « bonne élève » sur ce point, et dans l’éditorial du journal Le Monde daté du 19 janvier, la baisse de la natalité est qualifiée de « mal profond ». Dans d’autres circonstances, le même journal nous avait alerté sur le risque de surpopulation mondiale. Tout dépend à quelle échelle nous observons le phénomène.

Est-ce que ce qui serait mauvais pour l’humanité pourrait être bon pour nous les Français ? Pouvons-nous prôner chez nous une forte fécondité, et demander « en même temps » une baisse de la natalité dans les pays du Sud, sachant en outre que l’empreinte écologique d’un petit occidental est infiniment supérieure à celle d’un petit bengali ou d’un petit somalien ?

La formule « Il n’est de richesse que d’hommes » est ancrée dans nos têtes depuis Jean Bodin. C’était au XVIe siècle. Est-ce encore vrai aujourd’hui, ou bien ne faut-il pas en changer le sens ? Abandonnons l’approche quantitative, qui ne conduit qu’à une impasse, car il faudra bien, un jour, stabiliser la population mondiale, et accepter le vieillissement qui l’accompagne inéluctablement. Donnons à la phrase de Jean Bodin une version qualitative. La qualité des hommes plutôt que leur quantité.

La population vieillit, il faut s’y adapter plutôt que tenter d’inverser le cours de l’histoire. Relancer la natalité revient à s’exonérer de l’exigence d’une transition démographique, au détriment des générations futures qui y seront alors confrontées. Un cadeau empoisonné à nos enfants au nom de l’amour de la famille. Est-ce bien raisonnable ?

Le vieillissement est inéluctable, préparons-nous à cette évolution, notamment en repensant les apports de l’immigration, et la place des vieux dans notre société. Les vieux vite considérés comme des charges, avec la référence systématique au ratio actif/inactif, comme si les retraités ne participaient pas à la vie sociale de notre pays. Une première piste de politique démographique « durable » serait de faire en sorte que le travail ne produise pas, après 42 ans (ou plus), des individus incapables d’apporter, à leur manière, leur contribution à la richesse du pays, laquelle n’est pas que financière.

S’agissant des jeunes, c’est sur leur formation qu’il faut porter l’effort, pour gagner en qualité ce qui est perdu en quantité. Des jeunes mieux préparés à affronter un monde en évolution de plus en plus rapide, de plus en plus imprévisible. Une formation qui devra s’étendre tout au long de la vie pour s’adapter en permanence aux besoins.
La France « bonne élève démographique » serait celle qui « en même temps » permet aux « vieux » de continuer à jouer un rôle actif dans la société, et aux jeunes d’atteindre et de cultiver un haut niveau de culture et de compétence, une capacité d’adaptation aux évolutions du monde.

Edito du 24 janvier 2024

 

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