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Comme avant

Quand vous abordez un problème, vous cherchez d'abord où en sont les facteurs déterminants, pour vous y attaquer en priorité. C'est là, a priori, que se trouvent les plus grandes réserves de progrès, les principales marges de manœuvre. En matière d'environnement et de lutte contre l'effet de serre, les pouvoirs publics semblent avoir choisi une autre méthode.

Prenez par exemple le cas les transports. Les gros utilisateurs de la voiture semblent a priori de bons clients. Comment les aider à réduire leur consommation et par suite leurs émissions de gaz à effet de serre ? La préoccupation première n'a pas été celle-là. Il fallait permettre à ces « gros rouleurs » le continuer leur activité comme avant, malgré la hausse du prix des carburants. Un programme gros rouleur été prévu à cet effet. Vous auriez peut-être pensé à les aider à continuer leur activité en roulant moins. Nouvelle organisation, coopération, meilleure utilisation des outils informatiques, etc. Ou alors à moins consommer en roulant, aide à l'acquisition de voitures économes, formation à la conduite douce. Vous auriez mis vos moyens dans une politique visant à réduire leur impact sur le réchauffement climatique. Eh bien le discours a porté exclusivement sur des aides financières qui leur permettraient de rouler comme avant. Le signal prix pouvait être un puissant moteur de réorganisation de ces professions, il est tout simplement gommé.

Autre exemple : la consommation d'eau douce. L'agriculture est le secteur le plus gourmand, et il aurait semblé logique de porter l'effort sur les méthodes et les techniques qui permettraient à l'agriculture de produire autant tout en réduisant ses prélèvements d’eau. Là encore, les plus gros consommateurs ont été exclus du plan d'économies, et des mesures sont prises pour favoriser la constitution de réserves d’eau de manière à poursuivre l'exploitation comme avant, et même d’étendre les surfaces irriguées. Le climat se dégrade, les pluies sont plus irrégulières, ce qui accentue la pénurie, l’agriculture est responsable de 20% des émissions de gaz à effet de serre, facteur clé de ces dérèglements, mais continuons comme avant, et en plus fort si possible.

Dans ces deux cas la règle est claire : Continuer comme avant, ne pas changer de modèle. Et pourtant, tous les experts sont unanimes pour dire que ces modèles sont sans issue. Les prolonger ne fait que retarder une crise qui n’en sera que plus dure. La Banque mondiale vient de confirmer cette analyse dans un rapport publié le 7 mai 2024 et intitulé « Recette pour un monde vivable ». La conclusion est claire : « Il faut réorienter drastiquement le modèle alimentaire mondial ». Les subventions pour l'agriculture constituent un instrument privilégié pour y parvenir. L'argent nécessaire est déjà là, pas de dépense supplémentaire, c'est une autre utilisation de cet argent qui est préconisée, essentiellement pour accompagner le changement. Exactement le contraire de ce qui se passe aujourd'hui en France et même en Europe, ou la conditionnalité des aides publiques, levier opérationnel le plus efficace, tend à disparaître avec les récentes réformes. Directement concernée par le retour d'investissement, la Banque mondiale s'est intéressée aux bénéfices attendus. Ils sont multiples et ne concernent pas que l'environnement. Il s'agit aussi d'emploi, de santé, de sécurité alimentaire. Le taux de retour serait de 1 pour 16 en 2030. Un excellent rapport. La poursuite de l'ancien modèle, reprise aujourd'hui sous la pression de lobbys agricoles et agroalimentaires, conduit, à l'inverse, à une augmentation indéfinie des dépenses.

La Banque mondiale n'est pas la seule à s'exprimer sur ce point. Notons par exemple pour la France l'appel de centaines de chercheurs, soignants, et associations en réaction au nouveau plan Ecophyto, sur l'aspect sanitaire de la politique agricole, qui demande aux responsables politiques « d’avoir le courage de faire le choix de la santé publique, pas celui du cancer ». Dans ce domaine aussi, le « comme avant » coute très cher.

Le changement de cap est souvent douloureux, surtout s’il remet en cause les équilibres et les rapports de force au sein du système existant. La nouvelle orientation nécessite un accompagnement dans la durée, avec des moyens humains et financiers, et bien sûr une volonté politique partagée. A défaut, le risque est grand de devoir continuer comme avant, et de « foncer dans le mur, en accélérant ».

Edito 15 mai 2024

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