Batailles d’arrière garde
Aujourd’hui, il s’agit des PFAS, ces polluants éternels qui sont partout, notamment dans les textiles, les cosmétiques et les instruments de cuisine, mais aussi dans nos corps où ils ne sont pas les bienvenus. Hier, c’était l’amiante ou la chlordécone. L’alerte avait bien été donnée par les scientifiques, de nombreux pays avaient interdit l’usage de ces produits, mais nous les avons encore autorisés pendant des années. Des prolongations qui ont couté cher, en termes humains, financiers et environnementaux. Bien sûr, l’administration est coupable, et il est arrivé dans d’autres affaires comme le sang contaminé que des ministres aient été condamnés, mais pourquoi les autorités auraient-elles pris ces décisions si elles n’avaient pas été pressées par les utilisateurs ou les producteurs de ces produits, qui menaient des batailles d’arrière-garde ?
Aujourd’hui, les industriels ont su exonérer les poêles et les casseroles de l’interdiction des PFAS. Des milliers d’emplois auraient été menacés. Difficile de croire que l’adaptation du marché et des outils de production étaient hors de portée. Il faudra y venir un jour, espérons que ce délai ne provoquera de dommages irréversibles comme dans les exemples évoqués ci-dessus.
Outre le chantage à l’emploi, c’est le doute qui est l’arme favorite des ces champions de la procrastination. Des marchands de doute, les a-t-on appelés dans des livres et des émissions de télévision. Ne pouvant pas affirmer l’innocuité de leurs produits, ils distillent le doute sur les études qui leur déplaisent. Les marchands de tabac sont célèbres pour ce genre de pratiques, mais les pétroliers ne sont pas en reste concernant le changement climatique. Leur cible, aujourd’hui, ce sont les énergies renouvelables, dont le développement, qui s’accélère fortement dans le monde, devrait permettre d’abandonner les énergies fossiles.
Prenez le cas des centrales photovoltaïques au sol. Voilà des dispositifs très performants, dont les pétroliers veulent absolument empêcher le déploiement. Comme les voitures électriques, d’ailleurs. L’argument est alors la consommation d’espace, qui nuirait à la production agricole, et à cette nouvelle exigence de souveraineté alimentaire. L’idée est lancée, et reprise largement dans l’opinion, avec même le sentiment de faire œuvre écologique. Des réserves sont posées par les députés écologistes eux-mêmes pour l’adoption de la loi sur les énergies renouvelables. La réalité est tout autre. Les surfaces utilisées aujourd’hui pour produire des carburants d’origine agricole sont considérables, 1 million d’hectares. Vous ne les distinguez pas des autres surfaces de colza ou de céréales, mais elles prélèvent sur la capacité de production alimentaire. Dans son livre « pourquoi la voiture électrique est bonne pour le climat » Cédric Philibert a fait le calcul de ce qui serait nécessaire si les biocarburants étaient abandonnés au profit d’une mobilité électrique. Il s’agit d’obtenir de quoi remplacer les 37,2 TWh produits actuellement sous la forme de biocarburants, qui alimentent des moteurs dont le rendement moyen est de 25%. Quelle surface de capteurs solaires au sol serait nécessaire ? 10 000 hectares suffiraient pour alimenter l’équivalent en moteurs électriques dont l’efficacité est évaluée à 75%, compte-tenu des pertes en ligne pour la distribution. Un rapport de 1 à 100. La voiture électrique permet de récupérer des centaines de milliers d’hectares pour la souveraineté alimentaire et la biodiversité. C’est le sentiment inverse qui est diffusé, dans l’espoir de créer le doute sur l’intérêt de la voiture électrique pour l’environnement, climat et biodiversité notamment. La contre information pour que rien ne change.
Les retards dans la diffusion de rapports scientifiques contribuent à cette bataille de l’information. Les décisions européennes déjà évoquées sur le nouveaux OGM, ou sur le glyphosate sont d’autres illustration de ces batailles d’arrière-garde. Les alertes sont anciennes et bien documentées, mais trop d’intérêts poussent à retarder les échéances. Gagner du temps. C’est comme ça que des questions aussi anciennes que celle de l’eau en agriculture se trouvent régulièrement reportées, obligeant à chaque fois à recourir aux techniques d’hier. Nous allons vers l’avenir à reculons.
Edito du 10 avril 2024
Commentaire d'Yves Poss
Ministres condamnés pour le sang contaminé? je n'en ai pas la mémoire. Il me semble me souvenir qu'il y a eu le verdict de "responsable, mais pas coupable", et qu'un de ces responsables est actuellement président du Conseil constitutionnel. mais je fais peut-être erreur...
Et je ne voudrais pas que les centrales photovoltaïques s'implantent trop sur des sites qui méritent protection, mais qui ne sont pas, hélas pour eux, dans des stations de production: l'écologie risque d'y perdre certaines de ses richesses.
Enfin, à propos d'énergies renouvelables, c'est une faute de prétendre que la combustion du bois est neutre vis à vis de l'effet de serre: le raisonnement tenu est celui de sophistes, j'attends avec impatience un nouveau Socrate. En attendant, des forêts de feuillus disparaissent, pour les chaudières, en attenant les bio raffineries, et sont remplacées par des plantations, avec. l'aide de nos impôts. Dommage, la trahison des clercs se poursuit: les "sachants" préfèrent se taire plutôt que de déplaire…
Réponse de Dominique Bidou
Bien d'accord sur l'idée de préserver les sites qui le méritent d'implantations de centrales photovltaïques, mais il reste de belles surfaces exploitables de ce point de vue. Elles sont cependant nettement plus productives que celles consacrées aux biocarburants, objets de cultures intensives compactant et polluant les sols, leur diminuant d'autant leur capacité à stocker du CO2.
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