Au-delà de la justice
Nous pouvons nous réjouir des décisions de justice, qui condamnent les Etats pour leurs insuffisances vis-à-vis du climat. Celui-ci est ainsi consacré comme valeur de référence et entre dans la catégorie des obligations du type droits de l’Homme. Il est cependant bien dommage d’en être venu à ce stade, et de ne pas avoir su convaincre les Etats à engager des politique sérieuses et volontaristes en la matière. Le climat, et d’une manière plus générale l’écologie, apparait alors comme une contrainte, un « fardeau » comme on disait dans les COP. Pas très performant pour mobiliser les populations, et les faire adhérer à une politique innovante, avec sa part de risque et de dérangements à attendre. C’est que le développement durable va nous bousculer. Demain ne sera pas un prolongement d’hier. Le monde a changé, nous avons atteint ses limites et même dépassé certaines d’entre elles. « Croissez et multipliez » tel que nous l’entendons depuis des millénaires ne fonctionne plus, il faut lui trouver un sens adapté à un monde « fini », alors que nos esprits ont été formatés au cours des siècles dans l’idée qu’il était infini.
La justice, nationale ou internationale, nous rappelle à nos engagements, ceux des Etats plus précisément, mais nous savons que les dirigeants desdits Etats sont sensibles à l’opinion publique, et que celle-ci n’aime pas s’éloigner de ses sentiers habituels. L’opinion est conservatrice, soucieuse de ses intérêts immédiats. Ajoutez à cela que de nombreux dirigeants, au fond d’eux-mêmes, « ne croient pas ce qu’ils savent », pour reprendre une expression de Jean-Pierre Dupuy, et vous trouvez le décalage de plus en plus évident entre les discours et les pratiques. Voici donc les Etats devant leurs responsabilités, sommés de prendre des mesures a priori impopulaires ou contraires à des intérêts puissants et bien établis. Tout est en place pour entrer dans le futur à reculons, c’est-à-dire dans les pires conditions. Est-ce ce que nous voulons ?
Comment rendre audible, dans ces conditions, un discours plus offensif pour l’écologie, qui rappelle que la transition à laquelle nous sommes invités est une aubaine. Elle nous sort de notre torpeur et nous conduit à innover, à imaginer une nouvelle forme de progrès. De nombreux exemples nous montrent que le changement est salvateur, qu’il ouvre des perspectives nouvelles, alors que le statu quo nous enferme et nous condamne à une forme de régression, au déclin et au déclassement que beaucoup ressentent, si l’on en croit les sondages. Bien sûr, le changement comporte des risques, il y aura des échecs, des tâtonnements, des doutes, mais le statu quo, le fil de l’eau ou le business as usual, quel que soit son nom, est le risque maximum, sa seule vertu, si l’on peut dire, étant qu’il s’impose de fait quand les décisions sont dures à prendre.
Rappels de la justice, d’accord, mais bien insuffisants. Ne comptons pas dessus pour voir changer le cours des choses. Il faut aussi donner envie du changement, et en montrer les aspects positifs. L’argument de la peur des catastrophes, et parfois de la culpabilité des humains a été largement utilisé pour convaincre de la nécessité du changement, en vain. La peur est le meilleur argument des conservateurs, la peur qui paralyse, qui pousse à se replier sur soi-même et à enjoliver le passé, « c’était mieux avant ». Le populisme exploite la peur sans vergogne, et il n’est pas nécessaire d’y contribuer, bien au contraire. La perspective des catastrophes conduit au négationnisme, climatique en l’occurrence, dont nous sentons la pression aujourd’hui.
Pour affronter le changement, il faut au contraire une population en pleine confiance. Une société consciente de sa force et qui ne craint pas de s’engager dans une aventure extraordinaire, qui en a même envie. Nous avons de nombreux atouts pour entrer dans le futur avec gourmandise, notamment un haut niveau de formation et des nouveaux outils à notre disposition. Ne les utilisons pas pour faire durer le passé.
Edito 17 avril 2024
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