Bénéficiaire
Dans une société complexe, avec de nombreuses interconnections, le bénéficiaire réel d’un service n’est pas toujours facile à identifier, au-delà des apparences immédiates.
La confusion est fréquente. L’usager d’un service est souvent considéré comme son bénéficiaire.
Il l’est en général, et c’est heureux, mais il est rarement le seul. Il y en a beaucoup d’autres, et c’est important d’en faire l’inventaire quand il s’agit de payer.
C’est un classique pour les transports en commun dans les villes. L’usager ne paye qu’une partie du prix de son billet. Le reste est assuré par des subventions et des taxes spécifiques comme le versement transports, payé par les employeurs. Ceux-ci bénéficient en effet des transports en commun, même s’ils viennent en voiture à leur bureau. Le bassin d’emploi dont ils bénéficient est élargi, ce qui leur offre un plus grand choix pour leurs recrutements, et l’accès à des talents éloignés. Leur bassin de clientèle est aussi étendu, notamment pour les commerces et les services qui s’adressent aux particuliers. Les chiffres d’affaire s’en ressentent, et il est juste que les bénéficiaires du service en payent une quote-part.
Le raisonnement peut être étendu à certains aéroports. Des chiffres alarmants ont été publiés, sur la subvention de fait accordée à un passager sur des lignes secondaires, desservant des villes moyennes. La collectivité paye très cher, et souvent beaucoup plus cher que l’usager, sous des formes diverses, subventions directes ou avantages fiscaux pour les exploitants, par exemple. C’est oublier que la présence d’un aéroport est parfois la condition du maintien d’une activité économique. L’aide publique doit être évaluée non pas à l’aune du prix du billet d’avion, mais de l’importance de l’activité conditionnée par l’existence d’existence d’un lien aérien. Il y a une marge d’appréciation, des paris à tenter et qui ne sont pas toujours gagnés, mais ce serait une erreur de limiter l’analyse au seul cadre de l’usager pris isolément. Payer pour autrui, par l’intermédiaire d’un impôt notamment, n’est pas toujours une dépense inutile, bien au contraire.
En matière de santé, on ne regarde souvent que la dépense. Le coût de la santé est eu cœur de nombreux débats, notamment pour le financement de la sécurité sociale. Il est moins souvent question de la valeur d’une société globalement en bonne santé, et de l’attractivité qu’un bon système de santé représente pour un pays. Nous en sommes tous bénéficiaires. Laisser une partie de la population en marge des soins pour des raisons financières serait un danger pour le reste de la population. C’est notamment le cas pour les étudiants, dont une part significative ne peut faire face à certaines dépenses de santé, aggravent de ce fait leur état, et coûtent beaucoup plus cher à la collectivité quand il faut les prendre en charge. Le bénéficiaire de l’aide, si elle est attribuée au bon moment, n’est pas la seule personne qui en profite. C’est toute la collectivité. A l’inverse, laisser se développer des causes de stress et de dégradation de la santé, pour faire des économies ou ne pas alourdir une fiscalité, peut coûter très cher. L’exemple du bruit des transports est à ce titre éloquent : voilà une source de gêne parfois lourde et handicapante qui coûte chaque année de l’ordre d’un demi-point de PIB à la France. Beaucoup plus que ce qui serait nécessaire pour endiguer ce fléau.
Elargissons le raisonnement à la lutte contre les pollutions. Le cas de l’eau potable à Munich est emblématique d’une approche « système » : la ville subventionne des agriculteurs qui cultivent dans le bassin où elle puise son eau, pour qu’ils adoptent des méthodes de culture non polluantes. L’eau reste pure, et la ville n’a pas besoin de la traiter. Résultat : une eau à la fois bonne et pas cher, car le montant des subventions est bien inférieur aux économies réalisées par la compagnie des eaux, dispensée d’une opération couteuse. Les aides sont données aux agriculteurs, mais ce sont les munichois les vrais bénéficiaires de cet argent. Gagnant-gagnant, quand les acteurs ont su sortir d’une logique linéaire, du producteur au consommateur, pour entrer dans une approche complexe, faisant intervenir toutes les parties prenantes. Ces dernières doivent se trouver toutes bénéficiaires, même si l’aide n’est accordée formellement qu’à des acteurs.
Lutter contre les pollutions le plus en amont possible revient souvent à intervenir loin de chez soi, mais ça coûte moins cher que de réparer les dégâts à sa porte.
La recherche d’économies à laquelle nous assistons aujourd’hui de la part des pouvoirs publics est légitime. Il y a de nombreuses dépenses inutiles ou exagérées. Mais attention à ne pas réduire le cadre des expertises à des relations simples et bilatérales alors que les bénéfices d’un financement sont souvent multiples. Ce sont des systèmes d’intérêts qu’il faut évaluer, où sont entremêlés le public et le privé, l’immédiat et le futur, l’individuel et le collectif, le proche te le lointain. Les bénéficiaires d’une politique sont multiples, légitimes ou non. Une bonne connaissance de leurs réseaux et des liens qui les unissent est un préalable aux décisions. Une analyse trop superficielle pourrait conduire à des désastres, et coûter très cher à tout le monde.
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