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Gaïa, les transitions écologiques et l’Architecture

A l’heure de la tenue de la 21è Conférence des Parties (COP 21) à Paris, plus personne ne peut raisonnablement douter du caractère anthropique du dérèglement climatique en cours et à venir. Quelles que soient les avancées réelles ou espérées de cette conférence, la métamorphose en œuvre vers une société humaine décarbonée est en route. Les maîtres-mots des décennies à venir seront: Transitions écologiques : entre adaptations et résilience.
L’Humain est un animal (presque) comme les autres. A ceci près qu’il devrait avoir la conscience réelle et concrète qu’il n’est « qu’un » des éléments de la biodiversité. Sa position « d’animal conscient » lui donne surtout des devoirs envers les milieux qu’il ne devrait que cohabiter, et non pas coloniser à son seul profit. La Nature pour (sur)vivre et prospérer n’a normalement pas absolument besoin de lui, l’inverse n’est pas vrai. La biodiversité – les forêts, les terres, les océans – jouent un rôle primordial dans la régulation du climat. En tant qu’animal conscient, leur protection nous incombe. Nous sommes à l’heure de l’anthropocène. Comme l’explique le philosophe Patrice Maniglier « tous les vivants contribuent à fabriquer l’habitabilité même de leur espace: l’atmosphère terrestre est le résultat des relations entre ces vivants. L’humain n’est pas dans la nature, il est avec toutes sortes d’êtres: nous sommes le paysage les uns des autres ». Détruire les autres vivants, c’est se détruire soit même.
Certes, la France, et l’Europe, sont réputées à travers le Monde pour la qualité de leurs villes historiques et de leurs paysages. Mais ne nous trompons pas, les adaptations à faire dans notre production d’aménagement urbain et de requalification de nos banlieues, dans nos visions du développement et de l’évolution du modèle d’aménagement européen, sont considérables. Par exemple, chaque année, l’équivalent de la surface d’un département français voit ses sols imperméabilisés par une urbanisation mal maîtrisée; et ceci au détriment des terres agricoles, de la Nature, et donc de nous-même . Et parallèlement, continue d’exister en proche banlieue parisienne, l’équivalent de la surface de Paris en friches industrielles polluées. Ce n’est ni désirable, ni durable.
Les dérèglements climatiques en cours et à venir nous obligent dans nos choix d’aménagement à aider la biodiversité à s’adapter pour qu’elle ne disparaisse pas. Durant les deux derniers siècles, notre territoire a vu le développement de toutes sortes de connexions et d’infrastructures (programmes immobiliers, autoroutes, routes, canaux, barrages, chemins de fer, lignes électriques, ...). La Nature s’en est trouvé malmenée, morcelée, mitée, et les biodiversités isolées et appauvries, et ceci à toutes les échelles du territoire. La rapidité du processus du dérèglement climatique à venir voudrait que ces biodiversités, pour survivre, puissent migrer facilement d’espaces en espaces, offrant à leur tour des conditions plus propices à leur survie; et ceci dans un temps extrêmement bref.
Le mitage actuel de la Nature ne permet pas cette migration. C’est pourquoi le grand chantier à venir concernera la (re)mise en réseau de ces poches de nature existante. Parallèlement, la démographie, le développement du fait urbain et l’appétence des populations du monde entier à vivre en ville, nous obligent à repenser la ville en permettant à la Nature de la traverser en y créant des corridors verts. C’est ce qu’on appelle « les trames vertes et bleues ». En même temps, la recherche d’une forte densité des populations dans les villes est nécessaire pour permettre à chaque citoyen d’accéder, à des coûts acceptables, aux différents services publics et privés auxquels ils aspirent en venant habiter la ville.

A partir de ce constat et de cette vision globale, tout découle : les architectes, conscients des intérêts privés qu’ils servent, mais également garants de l’intérêt général des aménagements qu’ils proposent, sont au cœur de cette transition écologique. Ainsi, les architectes devront intégrer dans leurs réflexions et dans leurs propositions, les intérêts des générations futures qui, par définition, n’ont pas (encore) la parole. Ils intégreront également les intérêts de la Nature qui, elle non plus, n’a pas voix au chapitre dans les prises de décisions. Au nom de l’intérêt général, ils s’en feront les porte-paroles.

Au-delà des mots qui sous-tendent une philosophie de l’action (et donc du projet architectural et urbanistique responsable), la théorisation et la conceptualisation effectuées depuis deux à trois décennies, mettent d’ores et déjà aujourd’hui énormément d’outils à la disposition des professionnels avertis. Ceux-ci leur permettent dès à présent d’adapter et de faire évoluer leur méthode de travail et de partager avec tous les responsables des référentiels nouveaux, qui sont autant d’aides à la décision. Pour mettre en œuvre massivement ces savoir-faire, encore faut-il que par leur formation, tous les architectes aient eu accès aux savoirs sur les transitions écologiques. La base de la communication entre les différents acteurs décisionnaires est de disposer d’un langage commun, c’est à dire de maîtriser parfaitement les sens précis et les définitions des mots. L’étendue de la connaissance des mots permet, pas à pas, d’exprimer une pensée complexe. C’est à dire responsable, professionnelle, pluridisciplinaire, et donc plus pertinente que celle, simpliste, peu opérationnelle et souvent fausse parce qu’incomplète, que l’on colporte et qui s’exprime « au café du commerce » (dans les médias).
Parmi ceux-ci, non limitativement et à titre d’illustration, et n’étant pas fondamentalement l’objet de ce texte, je me contenterai de citer quelques uns de ces mots-clés qui appellent la pratique, pour montrer à quel point le champ (pédagogique) est large:
- densité – héliotropisme du plan et de la coupe – bioclimatisme urbain – opacité – coefficient de forme – orientation des percements – protection du soleil – trames vertes et bleues – bilan carbone – vie du bâtiment du berceau à la tombe – matériaux biosourcés – énergie grise – analyse du cycle de vie – mixités – éco quartiers – transports doux – territoires et/ou bâtiments positifs – matériaux stockeurs/émetteurs de carbone – espaces-tampons – espaces de transition – seuils urbains – passif/actif – sobriété carbone – paysages – zones inondables – milieux humides – écosystèmes – écotones – milieux écologiques – niches écologiques – les relations Terre/Soleil : philosophiques, psychologiques, géométriques, énergétiques – effets de serre – atrium – bow-window –serre froide/serre chaude – surpression/dépression – ventilation traversante – BBC – HQE – THQE – RT 2012 – RT 2020 – objectif 2020 (-40%) – objectif 2050 – sobriété énergétique – sobriété carbone – aménagement désirable – économie bas-carbone – double peau – enveloppe – filière sèche/filière humide – poids équivalent carbone – ambiances – pollueur/payeur – taxation carbone – conflits écologiques – comportements génocidaires écologiques – adaptation – participation - résilience – croissance verte – Linky – Gazpar – déchets – recyclabilité – énergies du flux – énergies du stock – production décentralisée d’énergie – citoyen consommateur/producteur – l’insol – méthode participative – coût global actualisé - .........

Les écoles d’architecture, par les savoirs qu’elles délivrent et les savoir-faire qu’elles transmettent, ont joué, jouent, et devraient jouer ( ?) un rôle central dans l’adaptation de la profession d’architecte à ces nouveaux enjeux. D’ores et déjà, les étudiants formés à ces sujets, trouvent du travail à la sortie de leurs études d’une façon beaucoup plus évidente. Ils sont attendus. Les architectes sont les seuls professionnels à pouvoir offrir une vision à la fois holistique et opérationnelle du sujet, et ainsi mettre en scène, à travers le parti architectural, l’indispensable synthèse entre les intérêts particuliers de l’Humain et ceux globaux de la Nature, mais aussi entre les intérêts du Présent et ceux de l’Avenir. Ainsi, le choix de la forme des enseignements dans les écoles d’architecture n’est pas à faire entre des enseignements de spécialités ou un enseignement holistique, mais entre un enseignement porteur d’un projet global et des enseignements spécifiques variés et pluridisciplinaires.

L’école d’architecture de Paris-La-Villette a depuis plusieurs décennies, proposé à ses étudiants cette double approche pédagogique – globalisée à travers le projet architectural et spécifique à travers des enseignements sectorisés. Historiquement, ceci a été possible par le grand nombre d’enseignants multidisciplinaires mobilisés intellectuellement sur la pratique de l’écologie (architectes, ingénieurs, géographes, artistes, sociologues, paysagistes, ...). Dès les années 70/80, de nombreux précurseurs pionniers de la transition écologique sont venus enseigner particulièrement à l’école d’architecture de Paris-La-Villette (c’est mon cas) pour le caractère pluridisciplinaire qu’ils pouvaient y trouver, mais aussi la liberté d’enseigner un sujet qui était alors encore novateur et donc quelque peu marginal. Aujourd’hui, notre école doit faire face à la question du renouvellement générationnel de ces enseignants afin de pouvoir poursuivre à haut niveau, cette histoire ancienne qui est la sienne.

Les écoles d’architecture peuvent s’enorgueillir d’avoir formé plusieurs générations d’étudiants à l’exercice professionnel de la production architecturale dans le cadre de la transition écologique. Ils irriguent d’ores et déjà tous les milieux économiques (services de l’état, de la ville, des collectivités locales, agences d’architecture, consultants, maîtrises d’ouvrages publics et privés).
Nul doute que l’ampleur du chantier qui s’annonce obligera notre école à s’adapter elle aussi au plus grand nombre, bien sûr en termes de contenu de ses offres et de ses enseignements, mais également et surtout en termes d’offres globales dans l’ensemble de son projet pédagogique. La majorité des futurs étudiants en architecture seront de plus en plus conscients qu’on les attendra à la sortie de leurs études, spécifiquement sur leur maîtrise du projet dans le cadre des indispensables transitions écologiques. Dans un monde instable et souvent déboussolé par la perte des repères traditionnels et la mondialisation, cette philosophie « à la fois globale et locale » de la pratique de l’architecture donne un sens universel à la profession, mais aussi un sens individuel à la vie de ceux qui la pratique. Au moins pourront-ils continuer d’affirmer avec certitude que demain le soleil se lèvera à l’est, et se couchera à l’ouest. Pour un jeune architecte qui se cherche c’est plutôt rassurant!

Cette pratique concrète de la transition écologique est la chance de nos étudiants et la responsabilité des professionnels qu’ils seront.

 Alain Liébard, architecte, maître assistant des écoles d'architecture

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