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Ethique et politique de l’eau

 

L’eau indispensable à la vie. L’eau polluée, vecteur de la plupart des maladies. L’eau, bien de tous à partager équitablement. Quelle formidable occasion de développer et mettre en pratique une morale des relations humaines, une éthique du partage et du progrès !

Que ce soit dans les pays développés comme dans ceux qui sont pauvres, l’observation non partisane de l’administration de l’eau, gestionnaires publics et privés confondus, montre qu’une telle occasion est souvent oubliée, parfois négligée.
A quelles conditions une politique éthique de l’eau peut-elle apparaître ?


Les conditions d’une politique éthique de l’eau

Quelques ponts-aux-ânes et d’autres observations moins banales :
* Ne pas voler les autres, ne pas mentir ou les tromper mais les informer honnêtement, lutter contre toutes les formes d’injustice, de ségrégation et de corruption sont des évidences que l’on ose à peine rappeler, tant elles sont plus souvent exprimées qu’observées dans le quotidien des pratiques.
* Se faire le zélateur d’une morale rigide, à l’imitation de certains prédicateurs dont le verbe enflamme les croyants, n’est pas adapté au monde de l’eau, un monde de réalisations tangibles à court terme (« l’eau pour tous ») et non de promesses merveilleuses pour échapper à un destin funeste (« sauvons la planète » est à cet égard un excellent exemple de slogan ambigu dont le but est de distraire sans pour autant faire agir).
* L’éthique pour l’eau doit être tournée vers l’action et sûrement pas vers une vision morale bien-pensante. La culture de la responsabilité (tant personnelle que collective) permet de distinguer de ce point de vue l’acceptable du répréhensible. Vouloir agir sans se salir les mains n’est qu’inexpérience ou hypocrisie.
De la même façon que vouloir courir vite, c’est accepter de transpirer (ce qui implique plus tard une douche et des vêtements propres), de même une action concrète positive pour l’eau et pour ceux qui l’utilisent, nécessite des approximations, parfois des compromissions à la marge. Si la justice reste l’idéal partagé de tous les acteurs de l’eau, elle ne signifie nullement une égalité immédiate entre eux. Ainsi le fardeau financier est le plus souvent inégalement supporté. Mais cette information, quand elle est accessible, permet des évolutions positives au cours du temps dans le sens d’une plus grande justice.
* Il en va pareillement pour l’attribution d’un marché à une entreprise privée ou la dévolution d’une compétence supplémentaire accordée à un organisme public ambitieux : dans tous les cas seront exigés des sacrifices financiers ou une remise en question du domaine d’intervention qui prévalait jusqu’alors. C’est une balance entre les avantages et les inconvénients de modifier le statu quo qui permet de justifier, à tout le moins d’expliquer, le choix de se lancer dans une action ou d’éviter de le faire et non pas l’urgence de la demande, trop souvent faussement présentée comme le ressort de cette action.
* L’essentiel est de réussir à produire et protéger l’eau, la financer, légiférer de manière durable en dépit des remises en cause perpétuelles ourdies par des intérêts personnels et catégoriels, bousculées par des innovations techniques et comportementales émergentes ou encore sapées par des discours et campagnes médiatiques à idéologie électorale ou de court terme. On ne gère pas l’eau en 2015 comme c’était le cas en 1945 et moins encore en 1875.
Cette adaptation continuelle à un contexte nouveau exige cependant beaucoup de prudence. Elle doit éviter la connivence collective qui très vite débouche sur des scandales économiques et sociaux qui émaillent l’histoire professionnelle de l’eau, la répétition de ces derniers ternissant hélas l’image de ce métier.
L’éthique ne doit pas avoir pour but de couvrir de son manteau vertueux de tels dérapages mais au contraire servir à les empêcher après une analyse approfondie de chaque cas délictueux.

 

In fine…

Sans l’apport de l’éthique, la politique de l’eau n’est rapidement que brutalité et irresponsabilité. Le recours intensif au jugement éthique des actions doit toutefois être opéré avec intelligence, discernement et prudence car de nombreux paradoxes se présentent sous la forme de contradictions à déceler, contourner ou surmonter. L’éthique ne doit pas servir de solvant à ce genre d’apories.
La casuistique, c’est-à-dire l’étude des cas de conscience a été développée au XIII° siècle par Thomas d’Aquin selon une méthode pratique qu’il serait bon de remettre au goût du jour, tant elle est favorable à l’action, une action compatible avec l’observation de principes moraux responsables. A l’opposé du principe de précaution qui dans la pratique revient le plus fréquemment à s’abstenir ou à procrastiner, la règle du double effet privilégie l’avantage qu’une action apporte au bénéficiaire d’une action (il a par exemple désormais l’eau courante ou une situation d’hygiène améliorée), plutôt que le risque que prend l’opérateur lorsqu’il engage sa responsabilité dans un tel projet.
La prise de risque en matière d’alimentation en eau, d’assainissement, de sécurité de l’eau (water security) consiste donc à agir sans chercher à se dérober en invoquant une clause morale rédhibitoire. Le choix de l’application de la méthode du double effet, chaque fois que les avantages perçus l’emportent sans hésiter sur les inconvénients prévus, est éthiquement meilleur que la paralysie qui résulte de l’observation aveugle du principe de précaution. Ne pas agir sans essayer de surmonter ici et maintenant les difficultés est une tartufferie. Honte à ceux qui dans ce dernier cas font l’ange (invoquant une éthique frelatée), alors qu’ils font en réalité cyniquement la bête.
Dans toutes les situations imaginables, les pauvres passent avant l’avis des critiques qui ne font rien pour eux.
Braver l’opinion pour bien faire à ses risques et périls, pour mieux faire ensuite, est la seule morale qui vaille. L’éthique d’opinion et non d’action est détestable.


Pierre-Frédéric TENIERE-BUCHOT, Président du programme Solidarité-Eau (pS-Eau), membre de l’Académie de l’eau et du Conseil mondial de l’eau. Cette contribution est tirée d’un article paru dans [Im]pertinences, Numéro 4, Hiver 2014-2015

Extrait d’un article publié dans le N°4, Hiver2014-2015 d’ [im]Pertinences, revue de l’Académie de l’Ethique. Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

 

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